Les réfugiés des Ardennes 1940
à Bournezeau et St Vincent Puymaufrais

Le sort terrible des pauvres populations innocentes se trouvant sur le chemin des armées en bataille a été maintes fois évoqué au cours de l’histoire.

La guerre 39-45 a su apporter son lot de drames et provoqua un déplacement massif des populations frontalières du Nord et de l’Est qui furent accueillies en grande partie dans la région Ouest et Sud Ouest.

  • Mme Millard et ses deux petites filles

    Nous allons évoquer cette période douloureuse et suivre son impact sur notre histoire locale grâce à plusieurs témoignages :

    - D’abord, celui de Mme Annette Bossard actuel membre de la commission, à l’époque Annette Herbreteau, jeune adolescente

    - L’autre, vécu par une réfugiée des Ardennes accueillie à St Vincent- Puymaufrais, Mme Lucette Augereau, du nom de Stévenot lorsque qu’elle est arrivée.

     Rappelons en quelques lignes le contexte historique :

    Après la prise du pouvoir en Allemagne par Hitler (mars 1933, août 1934) les vociférations du führer et les bruits de bottes commençaient à inquiéter l’Europe. Dès 1936, les responsables français, ayant en mémoire 14/18, avaient préparé dans un certain secret l’éventuel Exode des populations des départements du Nord et de l'Est. Et l’on est surpris de savoir que 2 ans avant le début des hostilités, préfectures et mairies avaient reçu les instructions nécessaires pour organiser l’accueil des réfugiés.

    Au début de 1940, on sait que la Vendée a accueilli les habitants de l’arrondissement de Charleville-Mézières. Et le 6 mars, la préfecture a  réparti cette population entre les 306 communes de Vendée.

    Mais écoutons Annette Bossard. Elle nous retrace la suite des évènements : En septembre 1939, l'armée allemande envahit la Pologne, et c’est le début de la seconde guerre mondiale.

    Les froids intenses du terrible hiver 39-40 semblent endormir les hostilités à l’Ouest, mais au printemps 1940, le 10 mai, Hitler déclenche l’offensive générale contre les Pays Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France. Le réveil est terrible.

    L'offensive Allemande est foudroyante: chars, avions et parachutistes enfoncent le front allié. Les contre-attaques françaises ou anglaises sont vite noyées dans l'exode de millions de réfugiés fuyant devant l'ennemi. La situation évolue inexorablement vers la défaite.

    Les Français avaient trop compté sur la ligne Maginot qu'ils pensaient incontournable. Puis le front, s’étirant de la Suisse à la Manche, devint difficile à maintenir d’autant que notre défense aérienne était nettement inférieure à la puissante Luftwaffe allemande. .

    Dès le début de l’offensive allemande, à partir du 12 mai 1940, les populations de Belgique et du Nord de la France quittent l’insécurité des zones de combat, laissent leurs maisons, prennent l’indispensable, partent dans l’inconnu et leur flot s’enfle à mesure que les jours et les semaines passent.

     A la mi-juin près de 11 millions de personnes sont sur les routes dans une immense pagaille pleine de misère : enfants perdus, soif, faim, véhicules en panne. Les attaques aériennes provoquent morts et blessés.

    La Vendée ayant été désignée pour être “terre d’accueil” du département des Ardennes, c’est à ce moment là qu’à Bournezeau nous avons vu arriver tous ces gens qui fuyaient devant l’ennemi. À  pleine route, sur trois files, se dirigeant vers la zone libre, sont passés d’abord les véhicules des Parisiens : Voitures privées ou autobus de la T.C.R.P. (Transport en Commun de la Région Parisienne) surchargés de passagers et de bagages, mais personne ne songeait à faire le difficile. Ils n’avaient que trois ou quatre jours d’avance sur les Allemands. Certains s’arrêtaient le soir pour se réconforter un peu et demander l’hospitalité à notre ferme, la Mathurine , ou au village de la Borelière .

    Sont arrivés ensuite les réfugiés des Ardennes. Ils étaient moins bien équipés que les précédents : La plupart avaient de grands chars à quatre roues tirés par deux chevaux. Les animaux et les hommes n’en pouvaient plus. Les bébés pleuraient de fatigue et de lassitude. Ils manquaient de tout.

    La Mairie avait été informée des communes qu’elle aurait à héberger, et avait préparé leur arrivée. Tout était prévu, sauf la ruée surprise des armées allemandes qui provoqua la pagaille épouvantable de l’exode. Au village près de chez nous, à la Borelière, des maisons vacantes et des masures délabrées avaient été réquisitionnées pour loger ces pauvres gens qui venaient principalement de Villers-Semeuse près de Charleville ; certains de cette ville même, d’autres de Vrigne-Meuse.

    Cependant, la Borelière accueillit aussi des réfugiés qui venaient de l’Aisne (département voisin des Ardennes.)

    Le Maire de Dizy le Gros avait une sœur mariée à Aristide Valoteau des Moutiers sur Lay, ce qui l’orienta vers notre Région. Il arriva avec les ouvriers de son entreprise et leur famille. Ce Maire s’appelait “Lemaire” - ça ne s’invente pas !

    Il s’est trouvé qu’une jeune adolescente de ces familles était de mon âge et semblait être mon sosie. Elle s’appelait Gilberte Carreti, et était ressemblante au point que son père, d’origine italienne, me prenait parfois pour sa fille. Nous avons fait connaissance. Nous leur donnions des légumes, des œufs, du lait, du beurre …

    Ces gens étaient à peine arrivés qu’un militaire allemand, un “boche” comme nous disions, passa au village à moto et s’arrêta à la première maison, sans doute pour se renseigner sur son chemin. A la vue de l’uniforme allemand, le vieux “Poilu” qui habitait là, Pierre Avrit, se souvenant sans doute de 14/18, fut pris de peur. Il se sentait sans défense, car sans arme : il venait de donner son fusil à la “réquisition”.

    Cet éclaireur de l’armée ennemie annonçait l’arrivée des troupes d’occupation qui allaient maintenir la France sous leur joug jusqu’à la libération.

  • Le deuxième témoignage a été recueilli par Jean-Claude Couderc membre de la commission histoire qui nous livre les “Scènes d’Exode” de Lucette Augereau, jeune réfugiée dont le périple aboutit à l’Augoire, village de St Vincent- Puymaufrais.

    « Avant la guerre. Je vivais à Boulzicourt, une commune des Ardennes de quelque 900 habitants, avec ma mère, mon frère et ma sœur. Mon frère, âgé de 28 ans, était cheminot. Ma sœur, âgée de 20 ans, s’occupait de notre mère dépressive et l’assistait.

    Le bourg s'étendait en longueur de chaque côté de la route nationale allant de Paris à Charleville-Mézières. Il comprenait de grosses fermes avec leurs dépendances, une brasserie et une fabrique de grillage. On y trouvait aussi tous les commerces courants. Les habitants du bourg étaient principalement des ouvriers agricoles et des cheminots qui prenaient le train chaque jour, pour aller travailler aux ateliers des chemins de fer à Mohon près de Mézières.

    Notre commune avait une particularité: de grandes manœuvres militaires y avaient lieu quasiment tous les ans et la troupe logeait sur place dans les fermes, tandis que les officiers occupaient les meilleures habitations. Des unités d’infanterie, d'artillerie, de chasseurs alpins participèrent successivement à ces exercices réguliers, effectués dans les forêts voisines.

  • En 1939, la mobilisation s'était déroulée assez rapidement et sans heurts. Après la déclaration de guerre, le 3 septembre, des soldats de l'infanterie vinrent s'installer à Boulzicourt. Mon frère fut affecté aux ateliers de Mohon, à une vingtaine de kilomètres d’ici. La vie des civils fut dans l'ensemble pratiquement normale, car la ligne de front était éloignée et calme, jusqu'au jour où les Allemands envahirent la Belgique.

    C'était au début de mai 1940. Le changement fut brutal. Nous vîmes des flots de réfugiés descendant de la Belgique, traverser le village, tristes files de véhicules hétéroclites et de piétons accompagnés de notre armée qui battait en retraite

  • Deux ou trois jours plus tard, le dimanche 12 mai, jour de la Pentecôte, nous subissons une attaque aérienne allemande. De bon matin, les avions mitraillent sur la route nationale une troupe de spahis qui se replie. On nous intime l'ordre d’évacuer immédiatement Boulzicourt à destination de la Vendée, notre département d’accueil et plus précisément St Michel-en-l'Herm. Nous nous préparons à partir, en chargeant nos valises sur la brouette, sans oublier d'épingler au revers de nos vestes les étiquettes cartonnées que la mairie nous a distribuées pour indiquer notre nom et notre provenance. Par mesure de précaution nous nous partageons l'argent au cas où nous serions séparés au cours du voyage.

  • Exemple d’étiquette épinglée au revers des vestes

    Nous abandonnons nos habitations et partons à pied en compagnie de nos voisins : un homme, sa femme et leur fille d’une vingtaine d'années. Nous nous mêlons aux soldats de l'infanterie qui eux aussi, quittent le village. La route est occupée par une file de réfugiés qui prennent tous la direction du sud. Nous arrivons à Poix-Terron qui vient d'être bombardé par l'aviation ennemie. Sur la nationale, des cratères de bombes ralentissent notre marche.

     Nous avançons, sans trop savoir où nous allons. Je me rappelle notre passage à Pontavert, où, le soir, nous dormons dans une grange. Le lendemain matin, des soldats britanniques nous donnent l'ordre de partir vite, à cause de la pression allemande qui s'accentue.

     Nous nous mettons aussitôt en route en direction de Soissons. Dans cette ville, nous prenons un autocar qui doit nous conduire en rase campagne, où se trouve un train en formation pour évacuer les réfugiés. Pour comble de malchance, des avions allemands mitraillent notre véhicule sur la route, mais nous parvenons quand même à notre train. Nous hissons notre brouette dans un wagon de marchandises (genre wagon à bestiaux) et y grimpons ensuite.

  • Après un long voyage en train, au cours duquel j’ai eu seize ans, nous débarquons en gare de la Roche-sur-Yon le 20 mai. La Croix- Rouge est là pour nous accueillir.

     Nous passons la nuit en ville et le lendemain, on nous donne à manger. Puis une fourgonnette nous conduit à Ste Hermine où nous devons paraît-il être hébergés, ma sœur et moi ainsi que nos trois voisins. Hélas ! Les maisons réquisitionnées pour les réfugiés sont déjà toutes occupées. La mairie de Sainte Hermine nous envoie à saint Vincent Puymaufrais, la commune voisine. Ici non plus, on ne peut pas nous recevoir, car il ne reste aucune habitation disponible. On nous dirige alors vers l'Augoire, un hameau de cette commune.

    Pour nous six, nous trouvons logement dans une pièce rudimentaire, sans eau courante ni électricité. C'est un vrai changement par rapport aux  Ardennes! Nous couchons sur des paillasses posées sur des lits en planches, mais sommes satisfaits d'avoir un abri.

    Nous nous organisons et lions connaissance avec les fermiers. Nous les aidons dans leurs travaux en échange de quelques provisions : nous amassons les cailloux dans les vignes, participons aux foins, etc…

    Un jour de juin alors que nous faisions la causette dans la rue avec l'institutrice et une voisine, des militaires en side-car font leur apparition dans le village «Tiens v'là nos hommes! » dit l'institutrice. En fait ce sont des Allemands: l'institutrice qui ne connaît pas les uniformes feidgrau, a cru qu'il s'agissait de l'armée française. Tel fut notre premier contact avec l'ennemi.

    Nous sous installions dans l'occupation. »

    Ces deux témoignages ouvrent un chapitre qu’il nous faudra approfondir. Nous allons essayer de rassembler le maximum d’informations, de récits, de souvenirs … en recherchant les acteurs (encore présents) de ces évènements, et (ou) leurs familles, pour savoir comment ils ont été accueillis, comment ils se sont intégrés à la vie de la commune, quelles ont été leurs difficultés, quel fut leur sort à la fin de la guerre, leur retour dans leur pays d’origine. Nous savons déjà que certains sont restés et ont fait leur vie chez nous.

     André Seguin

    Les photos sont tirées de documents liés aux réfugiés de la seconde Guerre Mondiale.Voici la liste des réfugiés accueillis à Bournezeau. Nous pensons qu’elle est incomplète. N’hésitez pas à nous contacter  pour nous communiquer ce que vous savez et nous aider à la compléter. Nous reviendrons sur l’histoire de ces familles au cours de prochaines éditions.

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  • (1) Signalées “Femmes en couches”au cahier de Bienfaisance de la mairie
    (2) Mlle Millard s’est mariée avec M. Vrignaud de Bournezeau
    (3) Pas d’autre précision que le nom
    (4) Mlle Schaul Flore s’est mariée avec M. Mignon Bernard de Bournezeau
    (5) Roger Savoye  s’est marié avec Antoinette Seiller de Bournezeau