Le sculpteur Arthur Guéniot - un vrai "Bournevaizien"

1- Découverte d’Arthur Guéniot et de ses racines

Le 10 novembre 2006, un article du journal Ouest-France attirait l'attention évoquant les cérémonies du lendemain (11 novembre) à ROSNAY : le nom d’Arthur Guéniot était mentionné en tant que sculpteur ayant réalisé la très belle statue du monument aux Morts.(ci-contre) Le journaliste d’O-F poursuivait : "…Vendéen de Bournezeau où il avait vu le jour le 1er mai 1866, son nom est resté dans l’Histoire de l’Art….médaillé d'or en 1927….décédé en 1951..."

Sentiment de frustration… l’information sur l’existence de ce célèbre artiste, enfant du pays, nous parvenait de l’extérieur.

  

photos André Seguin

Arthur Guéniot n’était pourtant pas tout à fait inconnu chez nous. Jean Bernereau savait qu’un sculpteur, fils de gendarme, était né à Bournezeau. Il avait fait état de l’existence de ce sculpteur lors de l’exposition du 5 février 1996, organisée à la salle des Halles par les Vieux Volants Vézicampais. Plus tard, un article paru dans "l’Almanach du Vendéen" de 2001 lui donnant plus de détails, il mit à la disposition de la Commission Histoire les documents qu’il possédait pour permettre de lancer les recherches.


Arthur Guéniot

"Au Fil du Temps" n° 3 de janvier 2007 présentait l’histoire de l’ancienne gendarmerie et la liste des gendarmes ayant eu un poste à Bournezeau. Cette liste nous a fait découvrir le nom de Jean-Baptiste GUENIOT, le père de l’artiste.

Avec l’acte de mariage de ses parents, ses actes de naissance et de baptême, les archives locales nous ont permis de retrouver ses racines. Une recherche aux archives du Conservatoire Départemental des Musées à Roche-sur-Yon nous a donné accès aux chroniques artistiques de "La Revue du Bas Poitou" mentionnant régulièrement la qualité des œuvres du sculpteur à l’occasion de ses expositions annuelles au Salon des Artistes à Paris. Un article très complet sur sa vie et ses œuvres paru en 1966 dans la même revue, pour le centenaire de sa naissance, complète ces informations. L’ensemble de ces documents nous a permis de mieux connaître l’histoire et la personnalité très attachante de ce grand artiste, et d’en informer nos responsables municipaux. Un historique succinct de sa vie et de sa carrière  artistique leur a été présenté afin que notre commune honore comme il se doit le nom de ce “Bournevaizien” (Voir la page “Commission Histoire”du bulletin municipal de janvier 2008.)

Arthur GUENIOT est né le 1er mai 1866

" au domicile de Joseph TRENIT ", son grand-père maternel "alors âgé de 62 ans, propriétaire à Bournezeau", nous dit cet acte de naissance signé par-devant le maire Victor GENET, "sur les quatre heures du soir".

Son père Jean-Baptiste GUENIOT, originaire de Haute-Marne, était “gendarme à cheval” à Bournezeau en 1860. Pendant cette période à la gendarmerie locale, il a dû faire la connaissance d’une jeune fille du pays : Joséphine Alzire TRENIT.

Ils se sont mariés le 28 novembre 1860, six ans avant la naissance de l’enfant Arthur. Le maire de Bournezeau était alors Sulpice MALLET, indique l’acte de mariage. Cet acte précise d’entrée que les futurs époux étaient "garçon et fille" et n’avaient donc pas eu précédemment d’autres liens. Il nous apprend aussi que le père d’Arthur GUENIOT, natif de Jorquenay, petit bourg de Haute-Marne près de Langres, avait eu un premier poste de gendarme à Moutiers en Savoie et que son meilleur ami, le gendarme Xavier BRENOT, resté en poste en Savoie, avait fait le voyage pour être son témoin... Jugez de l’effort pour l’époque !

Cet acte nous apprend également que la mère de Joséphine Alzire TRENIT, grand’mère d’Arthur GUENIOT, était née Julie BONNET. Il avait fallu le consentement notarié du père du marié, « manouvrier », qui n’avait pu se déplacer. Le conseil d’administration de la gendarmerie de Savoie avait dû aussi donner son accord.

Quelque temps après son mariage, le gendarme Guéniot fut muté à Belleville-sur-Vie. Lorsque son épouse fut "en espoir de famille", comme l'on disait alors, elle désira que la naissance de son enfant se fit à Bournezeau près de sa mère. Elle vint au domicile de ses parents pour accoucher.

Photo André Seguin

La maison natale d'Arthur Guéniot (ci-dessus) se situe au n°4 de l'étroite rue des Halles, juste après la maison de Mme Godet, qui, face à la place de la Ferronnerie, était l'épicerie de son oncle Pierre Trénit.

Il fut baptisé dans l'ancienne église "le jeudi 3ème jour du mois de mai 1866">par le vicaire Aristide Groisard qui note que le père avait alors 36 ans. Son parrain était son grand-père maternel, Joseph Trénit. Sa marraine était sa tante Eléonore Grosset, dont le mari Pierre Trénit, ayant "28 ans ce jour là, était marchand épicier à Bournezeau".C'était le 12ème baptême de l’année 66, écrivait en marge le vicaire.

Disparu il y a seulement 57 ans, Arthur GUENIOT était un artiste de valeur dont l'œuvre nous est mal connue. Prolifique, il est l'auteur de très nombreux dessins et peintures et de plus de 200 sculptures. Une vingtaine de ses oeuvres existent en Vendée.

Arthur GUENIOT est donc un vrai Bournevaizien : né à BOURNEZEAU, d'une mère originaire de BOURNEZEAU

2 - Vie et œuvre d'Arthur GUENIOT

Dés l'âge de 7 ans, il se faisait remarquer à l'école par la richesse de ses dessins et s'appliquait déjà à modeler la terre glaise, prémices de ses futurs talents de sculpteur. Il passa 5 années dans une pension sévère à Montlieu en Charente où ses parents l’avaient mis dès l’âge de 11 ans. Sa santé le supporta mal. Son tempérament sensible et délicat lui faisait apprécier la vie familiale, avec son frère aîné Aristide et ses deux sœurs, Marguerite et Léa. Il a été très affecté par la mort prématurée de ce frère ainé, âgé de 18 ans: "Toute séparation emporte un lambeau de moi-même"écrivait-il plus tard. A cette époque ses parents avaient quitté la Vendée pour s’installer dans la petite cité médiévale de Riom, en Gironde. (Ils reviendront en Vendée quelques années plus tard pour habiter La-Roche-sur-Yon).

Par ses études chez les Pères Maristes de Riom, il fut initié à l'art et l'architecture. Leur influence lui a fait consacrer une grande partie de ses oeuvres à l'art religieux.

En 1889, à 23 ans, il est admis au concours de l'École des Arts Décoratifs de Paris où il est remarqué par la qualité de ses travaux. Il obtint à cette époque un "Premier Prix de Portrait" à Clermont-Ferrand, pendant son service militaire. Poursuivant ses études à Paris, il décrocha un certificat de professeur de dessin, mais refusa plusieurs postes, car il se sentait davantage attiré par les Beaux-Arts.

1892 fut une étape importante pour son art : le célèbre maître Gustave MOREAU le prit comme élève. Il avait 26 ans, et eut alors pour condisciples Matisse, Marquet, Rouault et le Vendéen Milcendeau. Il s'ensuivit entre eux une amitié durable. Ses dessins furent remarqués aux expositions et son maître l'incita à préparer le concours d'entrée à "l'Ecole des Beaux-arts״. Il y fut admis en 1894. Le caractère souvent religieux de ses travaux lui valut quelques brimades et sa sensibilité en souffrit. Parfois il exaspérait ses camarades par son caractère angélique et un jour l'un d'eux lança sous forme de boutade"Guéniot naquit au Vatican,  d'une  chanoinesse  et  d'un  père blanc ! "

Une autre fois, ״ Matisse, qui (pour l’agacer) en sortant des séances lui jetait à la figure le torchon pour essuyer les pinceaux ne cessa que devant la menace d’un règlement de comptes", nous raconte le chroniqueur de la Revue du Bas Poitou.

Il quitta l’école en 1896 avec un premier prix de dessin, après avoir déjà réalisé un bon nombre de toiles de qualité et plus de 80 dessins où s’affirmait son talent. Se jouant des difficultés dans les “anatomies”, il savait faire jaillir sur les visages la vie intérieure, caractères que l’on retrouve souvent dans ses sculptures.

En 1897, il avait 31 ans et profita du passage en Vendée du Président de la République Félix FAURE pour se faire connaître. Il adressa au préfet de la Vendée le tableau ci-dessous intitulé ״Chasse Antique", autant en hommage à sa terre natale que pour essayer de faire valoir la qualité de sa production artistique.


Encore présente à la Préfecture et publiée avec l’aimable autorisation de M. le Préfet LATASTE, cette œuvre a aussi inspiré la statue ״Chasseresse au chien״ médaille d’argent 1923.

( Photo André Seguin)

La même année, ses anciens professeurs, les religieux Maristes, lui confièrent la décoration de l'église française du Rosaire à Rome, montrant ainsi l'estime qu'ils portaient à ses compétences. Sur place, il en profita pour se faire de très nombreuses et utiles relations, comme le sculpteur Guillaume qui était directeur de l’Ecole de Rome à la Villa Médicis.

En 1899 il revint en France, à La-Roche-sur-Yon où habitaient alors ses parents. Lui, plutôt versé dans le "dessin-décoration", reçut la commande de sa première statue de la part de l'archiprêtre de l'église St Louis. C’était la preuve de sa renommée naissante. Ce sera aussi une bonne leçon de persévérance pour le jeune artiste. Sur place, “squattant” la salle à manger de ses parents, il prépara son œuvre, modelant le personnage sur une armature. Satisfait, elle était presque achevée, lorsque la nuit suivante gros fracas : l’œuvre était à terre.  Seule la tête du saint restait en haut de l’armature  que le débutant en sculpture avait sans doute mal conçue. Il se ressaisit alors et s’armant de courage, ne ressortit de la pièce qu’une fois la statue achevée.

La qualité du St François d'Assise réalisé l'encouragea à poursuivre. Ce fut un tournant pour son art, et le début d'une prolifique carrière de sculpteur ! A partir de 1900, les sculptures se sont succédé presque sans interruption. Arthur GUENIOT installa son atelier à Paris, 65 rue de Longchamp. Il a réalisé alors un premier buste de sa mère.

De tempérament plutôt solitaire et mélancolique, c’est à cette époque qu’il a rencontré à Paris, grâce à des amis, Anne LARERE, "Bretonne de grande distinction", issue d'une famille très connue de la région de Dinan, où ils se sont mariés le 15 mai 1901. Par la suite, il revint souvent dans la région. Il avait une villa à St Briac.


St François d’Assise, Chapelle de la Vierge, église St Louis

Photo d’André Seguin

De cette union sont nés 4 enfants : un garçon, Jean, et trois filles, Marguerite, Madeleine et Agnès. Ils furent plusieurs fois ses modèles pour des bustes. Chez un sculpteur, cela remplace les photos de famille !

Ce mariage eut une grande influence sur son comportement : "Je suis plus gai, plus intelligent, presque spirituel, les jours où je suis surpris par les attaches d'affection et où ma pensée est captivée par un idéal féminin"disait t-il.

Cette année là, il exposa pour la première fois au "Salon des Artistes Français", à Paris, et réalisa de nombreux bustes, dont celui de son père, le gendarme Guéniot et aussi de plusieurs personnes de la famille de Lespinay, ses amis vendéens, etc…

En 1902, la ville de Montaigu lui commanda la statue en bronze du colonel Villebois-Mareuil (appelé "le Lafayette Vendéen" car tué en 1900 en Afrique du Sud aux côtés des Boers en guerre contre les Anglais pour leur indépendance). Disparue en 1942 pendant la dernière guerre pour être fondue par les nazis, cette oeuvre était remarquable. (Ci-dessous)

L’une de ses premières réalisations en marbre “Rêverie”(statuette de jeune fille) fut primée en 1905. Achetée par la ville de Paris, elle se trouve au musée de Saint Maur des Fossés. La qualité de l’œuvre fut telle que la Manufacture Nationale de Sèvres acheta le modèle et en fit une quarantaine de réductions en porcelaine, commercialisées jusqu’en 1928. Un moulage de l’œuvre existe au musée de Fontenay, dédicacé à son ami Fleury, artiste graveur vendéen.

1906, année sombre. Sa vie familiale heureuse durant cinq années fut brusquement meurtrie par le décès de sa chère épouse. Cette séparation le plongea dans la mélancolie et il confiait que ״que tout départ d'un être cher est une mort dont je souffre le chagrin torturant". Mais veuf, avec quatre enfants, il reprit courageusement son activité artistique et s'y consacra de plus en plus.


Extrait de ״La Vendée״ de Dillange et Gautier

En 1910, il réalisa pour la ville de Dinan la statue en bronze du célèbre Breton "Jehan de Beaumanoir" héros du combat des Trente contre les anglais. Cette oeuvre lui vaudra lors de l'inauguration de l’œuvre, en 1911, d'être décoré Officier d'Académie par le ministre Augagneur.

Vers 1915, il exécuta pour l'église St Jean l’Evangéliste de Montmartre deux bénitiers monumentaux en marbre de Carrare, représentant chacun un ange de 2,20 m de haut versant l'eau d'une cruche, pièces remarquables par leur sereine fraîcheur.

Il a fait un nouveau buste de sa mère en 1918. Elle a alors 83 ans. Ce bronze fut exposé au salon de 1921 et une épreuve existe au Musée de Fontenay le Comte. Il s’y trouve aussi un buste de son ami Fleury.

En 1920, le 31 octobre, fut érigé à ROSNAY le monument aux Morts, déclencheur de nos recherches. “Femme à la stèle”, veuve inspirée de l'antiquité, cette oeuvre empreinte de calme et de sérénité est caractéristique de l'art d’Arthur GUENIOT. A cette époque, il réalisa en France une douzaine d’autres monuments aux Morts de la guerre 14-18, dont en Vendée St Florent-des-Bois, Champ-St-Père, Le Poiré-sur-Velluire...

En 1925, il exécuta pour le Québec un groupe représentant les premiers pionniers, exposé à San-Francisco.

Son œuvre se poursuivit par de multiples bas-reliefs et statues de saints : St Joseph, St Jean l'Evangéliste, St Antoine de Padoue, Ste Thérèse etc..., et de nombreux autres sujets qui pouvaient être imaginaires ou représentatifs de personnalités. Il utilisait aussi bien le plâtre ou le bronze que le marbre ou la pierre. Sa famille et ses amis inspirèrent également souvent ses travaux.

En 1927, il reçut la médaille d'or du Salon des Artistes français pour un pathétique St François d’Assise que l'on peut voir dans l’église du S.C. de Dijon. Il obtint la distinction de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1929. Mais il n'oublia pas la Vendée et vint exposer à La Roche sur Yon cette même année.

Vers la fin de sa période la plus active, trois de ses oeuvres importantes arrivèrent en Vendée:

- 1934, le Roi St Louis tenant la Couronne d’Epines du Christ, (sous le péristyle de l'église St Louis à la Roche sur Yon ).

1936, la statue de St Philbert, bronze de 2,40m de haut, à Beauvoir sur Mer.

1938, pour l'église de la Garnache, un Christ en bois grandeur nature, sculpté dans une poutre en chêne datant de 1620, oeuvre "empreinte de sobriété sans artifice", dit le chroniqueur. Il y eut aussi à cette époque pour le collège St Gabriel de St Laurent sur Sèvre un bienheureux Grignon de Montfort.

 
Arthur Guéniot vers 1950

Les archives municipales gardent le souvenir de son passage à Bournezeau en1941, où il fut inscrit pour une carte alimentaire. Durant la dernière guerre mondiale, il était venu se ressourcer en Vendée où se trouvaient ses sœurs. Cette époque l'avait énormément troublé et il quitta à nouveau sa terre natale.

Il a passé son dernier hiver à Vitry-le-François dans la Marne, terre d'origine de son père, où il décéda le 16 février 1951, laissant une oeuvre considérable, dont une grande part, notes, dessins, tableaux, modelages, sculptures, venant de son atelier parisien, fut préservée et rassemblée par son gendre, M. Rostain, au musée de Reims. Il fut inhumé à Dinan aux côtés de sa chère épouse.

Le plus bel éloge fut celui de son ami Fleury : "Statuaire religieux avant tout", écrit-il alors, dans la revue du Bas Poitou. "chrétien accompli, ami très sûr, homme d’une droiture exemplaire, laissant derrière lui une belle et nombreuse famille, fière d’un père et d’un grand-père admirable".

Artiste renommé d’une grande valeur humaine, Bournezeau se doit d'honorer son souvenir..

André SEGUIN

Sources :
Archives municipales / archives paroissiales /
Collection Historial de la Vendée, Conseil Général de la Vendée,
Conservation départementales des Musées pour les extraits de la Revue du Bas-Poitou /
Almanach du Vendéen 2001.