La vie à Creil-Bournezeau au début du 18ème siècle :

Le testament d’un feuillardeur

Article écrit par Jean-Luc Bonnin, né en 1961 à la ferme de l’Audjonnière de Bournezeau, descendant du côté maternel des feuillardeurs de Villeneuve, informaticien travaillant pour le Crédit Agricole leasing, résidant à Sainte-Geneviève-des-Bois en banlieue parisienne. Il est le neveu de Raphaël Remaud, de l’Ezière.

Qui d'autres que nos aïeux pourraient mieux nous décrire la vie à Creil-Bournezeau au début du 18ème siècle ? Rappelons qu’entre 1681 et 1789, le nom du seigneur de notre contrée, Crei, a été accolé à celui de Bournezeau.

Cet article se propose de nous faire rentrer dans ce passé pour mieux le comprendre. Donnons la parole à Jacques Remaud le faiseur de cercles de Villeneuve qui a laissé un testament enregistré à la baronnie de la Chaize-le-Vicomte dans l'étude de Maître Duval notaire royal en 1719 : 

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ainsi soit-il. Je, Jacques Remaud, marchand feuillardeur, demeurant au village de Villeneuve paroisse de Creil-Bournezeau, sain par la grâce de Dieu de corps et d'esprit, connaissant par l'expérience arrivée chez moi depuis un mois qu'il n’y a aucun fou [?] à faire sur la vie m’ayant enlevé Renée Bonnet ma femme à la fleur de son âge quoique je pensasse qu'elle dusse vivre encore longtemps j'ai voulu faire mon testament étant en santé afin de n'avoir pas à penser dans l’extrémité d’une maladie dans laquelle je serai obligé de penser à des choses plus sérieuses. Pour cet office je me suis transporté au bourg de la Chaize-le-Vicomte paroisse de Saint Jean dans l'étude de maître Gabriel Duval Notaire Royal ou étant j'ai envoyé prier maître Charles Merland notaire de la baronnie de la Chaize de s' y transporter pour être présent à mon dit testament, et lequel y étant venu j'ai de ma franche et libre volonté sans suggestion de personne dicté et nommé au dit Duval de mot à mot le présent mon testament et ordonnance de dernière volonté que ceux et ordonne être exécuté après mon décès.
Premièrement je recommande mon âme à Dieu père fils et Saint Esprit et le prie par le mérite de la vie et de la mort de Jésus Christ notre seigneur par tous les Saints et Saintes de la divine Vierge Marie et du grand Saint Jacques de vouloir me rendre participant de la gloire dont jouissent les bienheureux dans le Ciel.
Pour mon corps je souhaite, si je meurs dans la paroisse de Bournezeau, qu’il soit enterré dans le cimetière dudit lieu avec mes ancêtres, qu’il soit fait quatre services et qu’il soit dit outre cela vingt messes basses pour fléchir la miséricorde de Dieu en faveur de mon âme.
J’ai été marié deux fois. La première fois avec Jacquette Arnaud dont il y a six enfants dont deux sont mariés hors de ma maison. Les autres, quatre donc demeurant avec moi et dans ma communauté par le moyen de quoi ils sont dotés et pourvus. J’ai cinq enfants de mon second mariage par le contrat de mariage de Jeanne Remaud l’une de ses sœurs consanguines et par cette raison le dit Jacques est aussi pourvu. Et pour les autres quatre enfants dudit dernier lit nommés Joseph, Jean, Pierre et Gabrielle Remaud ils n’ont rien à prétendre dans la dite communauté mais seulement leur portion afférentes comme les autres frères et sœur dans la portion pour laquelle la dite Bonnet et moi étions fondés dans la dite communauté et société.

Ce qui ferait fort peu de chose par rapport à ceux dont il a été parlé. C’est donc par principe d’équité et par justice et non par prédilection ou entêtement que je me suis déterminé à donner comme en effet je déclare avoir donné et donne par les présentes aux dits Joseph, Jean, Pierre et Gabrielle Remaud mes enfants chacun pour égale portion tous mes meubles et acquêts la propriété telles que les dites choses se trouveront et ce au jour de mon décès sans que la dite donation qui leur demeurera en propriété puisse les empêcher de prendre leur part dans mes propres avec les autres frères et sœurs. Lesquels acquêts dans l’état présent sont de valeurs d’environ dix livres, et les dits meubles de valeur de quatre-vingt-dix neuf livres qui en tout.  Ce que je veux et ordonne d’être exécuté après mon décès. De quoi j’ai prié et requis les dits Duval et Merland notaires de vouloir me juger et me condamner m’étant fourni à cette fin à leurs juridictions avec tous mes biens que j’ai obligés et hypothéqués pour l’accomplissement de ce qui est écrit ci-dessus (…)/p>


Le couteau de feuillardier (plane) était fabriqué par le taillandier.
L’artisan est protégé par une sorte de tablier en bois.

Essayons maintenant de retirer des informations du testament de Jacques sur la vie à Creil-Bournezeau en 1719. En premier lieu il se présente comme un Marchand feuillardeur demeurant à Villeneuve.

Mais qu’est-ce qu’un feuillardeur ou encore feuillardier ?

Ce métier a quasiment disparu aujourd’hui. Néanmoins, il a laissé un héritage très commun dans l’industrie. Les feuillards sont de fines bandes de métal ou de plastique qui servent à sertir les emballages. Ce sont aussi les cercles de bois posés autour des barriques. Certains actes des nos registres paroissiaux désignent les Remaud de ce début du 18ème comme exerçant la profession de faiseurs de cercles. 

Les cercles ne faisaient pas que maintenir les douves des tonneaux entre elles. Ils les protégeaient pendant leur transport. Ils permettaient de les faire rouler. Le bois de châtaignier, plus tendre que celui de chêne du fût qu‘il entourait, prévenait son propriétaire de l’attaque des insectes. Le cercle était dans notre Bas Poitou de l’époque une industrie florissante. La base de l’activité était le châtaigner. Les hommes quittaient la borderie (petite ferme) pour parcourir les forêts avec l’arrivée de l’équinoxe d’automne. En effet, seules les tiges de 5 à 6 ans bien droites convenaient pour avoir un cercle de bonne qualité. La coupe s’effectuait d’octobre à la fin d’avril. Les cercles devaient tous être cintrés pour les feux dela Saint Jean. Au-delà, le bois coupé devenait trop sec pour pouvoir être utilisé

La vie des feuillardiers n’était certainement pas facile. La coupe des taillis se pratiquait l’hiver dans les bois. La loge, le froid, la solitude, le danger de la vie en forêt, tous ces éléments permettaient de construire l’unité de la communauté. Mais pour ces hommes, ce second revenu, après celui de la borderie, permettait en ce début du 18ème à Creil-Bournezeau de s’élever socialement, comme le montre le titre de Marchand feuillardeur repris par le notaire.

Avant de nous parler de sa famille, Jacques aborde le sujet de sa foi avec conviction. Cela pourrait surprendre aujourd’hui. Mais nous ne devons pas oublier que nous sommes chez un notaire. Celui-ci est aussi garant de la forme du document. Les testaments de l’époque commencent souvent par de telles formules. D’autre part, on ne peut s’empêcher de penser que le fait d’être catholique a son importance en 1719 dans une ville qui a connu quelques années plus tôt une dragonnade contre les protestants.


L’ouvrier bloque le feuillard sur le banc à l’aide du crochet et de la cale avant de commencer le ripage

Jacques nous fait ensuite une révélation importante pour les Remaud de Bournezeau : la famille repose depuis plusieurs générations dans le cimetière de la paroisse. Nous noterons qu’il évoque alors la paroisse de Bournezeau. Le nouveau nom de Creil-Bournezeau n’a visiblement pas gagné le cœur de tous.

Le véritable objet du testament apparaît ensuite. Et le sujet a de quoi surprendre. Derrière l’acte formel, Jacques nous livre une véritable lettre d’amour posthume à sa seconde épouse. Les règles des communautés sont anciennes. La place de la femme ainsi que la position de chacun des membres de la communauté sont claires. Le droit des enfants du premier mariage par rapport à ceux du second est sans équivoque. Jacques, en tant que chef de la communauté, est le seul à pouvoir les infléchir. C’est par amour pour sa famille qu’il va les transgresser. Le rôle des femmes en ce début du 18ème est ingrat. Combien d’entre-elles mourraient jeunes après un de leurs nombreux accouchements ?


Le village de Villeneuve sur le Cadastre Napoléonien

Le village de Villeneuve en 2009

Les remariages sont nombreux. Reconnaître tous ses enfants comme égaux est un signe fort de la part de notre faiseur de cercles à une époque où le droit d‘aînesse est un des piliers du régime féodal. Et que dire de sa décision vis-à-vis de la communauté de métier, la corporation des Feuillardeurs de Bournezeau ?

Est-ce pour ce caractère avant-gardiste que l’enregistrement du testament a été effectué dans une étude de la Chaize-le-Vicomte et non à Bournezeau ? Autant de questions qui restent ouvertes, mais qui démontrent que les idées dans notre commune en ce début du 18ème siècle sont déjà en marche.


La dimension des cercles est précise grâce à “la forme”

Pour mesurer le poids de la décision de Jacques face à la corporation il faut se souvenir d’un fait : les communautés de métiers ont été interdites par le décret d'Allarde en 1791. Les métiers sont devenus libres et francs (origine du nom de notre société "libérale"). 

Le monde de Jacques, la communauté des feuillardeurs de Bournezeau, vivait donc son dernier siècle. Mais cela c’est déjà une autre histoire ! 

A mon grand-père Camille, ma mère Ginette, mes oncles et mes tantes.

Jean-Luc Bonnin