Histoire de l'aviateur Joseph Goëtz

Qui fut le Lieutenant Joseph Goëtz, dont une impasse de Bournezeau porte le nom ?

Notre concitoyen Gaby Pelon (1941-2005) a entrepris, auprès du ministère de l’air des Etats-Unis, de patientes recherches, dont il a dédié le fruit à la mémoire de son père, Louis Pelon, garde-champêtre. Il a cherché en vain à entrer en contact avec des membres de la famille Goëtz encore en vie. Par contre, les démarches de Gaby Pelon auprès de l’Etat-Major des forces aériennes de Washington ont abouti à des informations importantes, dont nous devons la traduction fidèle à Ron Jarvis, résident britannique à Puymaufrais, Hardisty Robin, ancien pilote de la RAF, domicilié dans la commune des Pineaux, et Stéphane Guérin, étudiant français à Washington. Jean Bernereau a enrichi de ses souvenirs et de ses documents personnels l’ensemble des investigations sur le Lt. Goëtz.


le panneau de l’Impasse Joseph Goëtz.

Habitant à Buffalo dans l’état de New-York, le Lt. Goëtz faisait partie de la 335ème escadrille de chasse, entrée en activité en Angleterre le 29 Septembre 1942, et basée en 1944 à Debden, près de Saffron Walden, à 50km au N.E de Londres. En février 1944, on a retiré les chasseurs P47 (Thunderbolt) pour les remplacer par les P51 (Mustang) à long rayon d’action (1100km à partir de leur base et vitesse de 700km/h).

Journal de marche de la 335ème escadrille 23 Mars 1944
(Jour de la disparition du Lt. Goëtz)

Le Lt. Goëtz appartenait à l’un des 4 groupes de la 335ème escadrille, partie ce jour-là en mission, en compagnie de la 334ème et de la 336ème escadrilles, dans le sud de la France. Un briefing s’est tenu à 9h15 sous la responsabilité du commandant Clark. La mission sera effectuée conformément au programme suivant :

Les pilotes ayant “la chance de partir à cette représentation”, comme ils disaient avec humour, sont :


Le Lt. Goëtz décolla de la base de Debden à 11h42, pour une opération “rhubarbe” dans le sud de la France. Une opération “rhubarbe” était une mission de chasse libre avec recherche de l’objectif : chasseurs, colonnes sur route, locomotives, rassemblement de troupes, batteries d’artillerie. Ce raid de chasseurs, conduit par le commandant Clark, arriva en vue de la terre à 12h32, près de Fécamp, bien qu’il fût impossible de donner la position exacte, à cause des nuages bas. Les 4 groupes foncèrent vers le sud comme prévu, avec les autres escadrilles, de 12h32 à 13h30, soit pendant près d’une heure, et eurent effectivement le temps de parcourir environ 500 à 600km pour atteindre la région de Bordeaux, plus précisément l’est de cette ville, Libourne étant sensiblement le milieu de la zone à visiter (0°14 W). Les escadrilles se séparèrent alors pour rechercher et attaquer différents objectifs, s’efforçant de semer le trouble chez l’ennemi. Elles y parvinrent largement en détruisant en vol et au sol des avions allant du Heinkel 177 au Focke-Wulf 190.


Un mustang semblable à celui du Lt. Goëtz

Au cours des attaques, la défense allemande disloqua partiellement les groupes de la 335ème escadrille et fut à l’origine des difficultés du Lt. Goëtz. Après le mitraillage d’un aérodrome, Goëtz se retrouva ainsi avec deux équipiers imprévus. Il leur adressa alors un message radio incompréhensible et tenta de revenir à sa base sous leur protection… (Témoignage du Lt. Mac Kennon du 23 Mars 1944)

Qu’est-il arrivé dans le ciel libournais ? On en est réduit à des conjectures, puisqu’on ignore le contenu du message radio. En perte de vitesse, le Lt. Goëtz a probablement été victime d’une avarie de moteur… Son avion avait-il été touché par la D.C.A. ou la chasse allemandes ? Avait-il lui-même été blessé ? Les témoignages font toutefois apparaître que, vu ses réactions, le pilote était lucide en arrivant à Bournezeau, quand son avion effleura le sol et qu’il chercha à le redresser. C’est donc ensuite, lors de la chute, qu’il a trouvé la mort (blessure fatale à la tête).

Pendant ce temps, le reste de l’unité, conduit par le Cdt. Clark, regagnait l’Angleterre, à 16h30, après avoir quitté la côte ennemie au Havre, à basse altitude.


Firme : North America Aviation
type : ״Mustang״  P 51
Très rapide chasseur bombardier monoplace et monoplan à aile basse équipé d’un appareil photographique. Son plafond pratique est de 12 000 mètres. C’est un avion de reconnaissance difficile à intercepter.
Envergure: 11,27 m
Longueur : 9,75 m
Hauteur : 2,65 m
Moteur: Packard “Merlin”
Puissance : 1 500 CV
Vitesse : + de 700 km/h
Rayon d’action : 1 100 km
Poids en charge : 4 500 kg
Armement : 6 mitrailleuses de 12,7 mm ou 2 mitrailleuses et 2 canons de 20 mm.

Témoignage du Lt. Pierce W.Mac Kennon en date du 23 Mars 1944

(l’un des deux pilotes qui accompagnaient le Lt. Goëtz au retour)

21 Mars 1944 : Rodéo à Libourne .

« Lors de la perte du Lt. Joseph Goëtz, je volais sous le nom de “Zone verte, Arbre 3”. Je venais tout juste de me retrouver avec deux autres gars d’un autre groupe, ayant perdu le mien à cause des combats avec l’ennemi. Nous volions en rase-mottes, après avoir mitraillé un aérodrome ennemi, lorsque je remarquai que l’avion à ma gauche ralentissait légèrement et semblait cesser d’avancer en plein vol. Cet avion était “WD-L”, piloté par le Lt. Goëtz. Je l’ai entendu dire quelque chose, mais n’ai pas pu comprendre ce que c’était. Puis, j’ai appelé l’autre pilote qui était avec moi, afin de faire demi-tour et rentrer. Ce fut précisément en retournant que je vis l’avion du Lt. Goëtz heurter le sol. Il n’a pas pris feu, mais était complètement réduit en pièces. Les deux ailes étaient séparées de l’avion. Le fuselage reposait sur le dos et l’appareil était perdu. D’après ce que je crois, personne n’a pu survivre, après s’être écrasé ainsi. »

Témoignages locaux et anecdotes.

Comment a-t-on vécu le 21 Mars 1944, à Bournezeau et à St Vincent-Puymaufrais ?

Rémi Marot, 21 ans en 1944, était occupé ce jour-là dans une vigne, proche de la ferme des Brosses. Il se souvient d’avoir vu trois appareils alliés, à basse altitude au- dessus de la Maison Neuve, venant approximativement de la direction de Ste Hermine et se dirigeant vers Bournezeau. L’un de ces avions, probablement en difficulté, volait plus bas en laissant entendre un bruit anormal, et semblait escorté par les deux autres. Il était environ 14h (heure solaire)

Victor Belon, 31 ans en 1944, charroyait du fumier dans un champ des Landes-Bretières, lorsque surgirent, au-dessus de lui, trois avions à basse altitude. L’un d’eux, dont le moteur produisait des ratés, volait à gauche, en perte de vitesse, tout en s’écartant distinctement des autres. « Il n’ira pas loin, celui-là » pensa Victor Belon.

Guy Blanchard de Bournezeau, 15 ans en 1944, venait de s’engager avec ses vaches sur le chemin des Plantes. Il était suivi de Victor Bibard de la Coussaie, aujourd’hui décédé. Tout à coup, un avion dont le moteur tournait anormalement, passa devant eux, si bas qu’il alla s’abattre à une centaine de mètres de là. A peine remis de leur frayeur, Guy Blanchard et Victor Bibard accoururent immédiatement à l’endroit de l’accident. Vu la proximité, ils furent, selon Guy Blanchard, les premiers témoins.

L’appareil était renversé et disloqué. Le corps du pilote pendait hors de l’habitacle et son visage avait été affreusement défiguré dans la chute. Les deux autres avions tournoyèrent, un bon moment, à basse altitude et s’en allèrent. Le corps de l’aviateur fut ensuite dégagé, déposé près de l’avion et recouvert d’un drap, apporté par Mme Lorieu.

Par ailleurs, à l’encontre de certains bruits, Guy Blanchard dément catégoriquement que l’Allemand qui surveillait les alentours dans le clocher de Bournezeau, se fût emparé du vélo de sa mère, Madeleine Blanchard, pour se rendre sur les lieux. Celle-ci, de forte corpulence ne voulut rien savoir et se montra même agressive envers l’Allemand qui dut continuer sa route à pied. La famille Blanchard s’inquiéta rétrospectivement de cette témérité qui aurait pu avoir de fâcheuses conséquences…

Germaine Bernereau, 21 ans en 1944, assista à cette scène et confirme les dires de Guy Blanchard concernant cet incident.


L’avion s’est écrasé près du chemin des plantes

Fernand Lorieu, 21 ans en 1944, indique que son père était à la ferme de la Brejonnière, en train d’atteler les bœufs. A environ 200 mètres de là, un avion qui volait très bas, vint heurter un chêne-futaie le long du chemin des Plantes. Il rebondit dans le champ suivant et termina sa course, sens dessus dessous, plus loin dans un chemin creux. Une des ailes percuta un têtard, qui aujourd’hui encore garde la marque de l’impact. Tout ceci se produisit dans un énorme nuage de poussière. Les deux autres appareils tournèrent plusieurs fois au-dessus de l’avion écrasé. Fernand Lorieu partit prévenir les gendarmes de Bournezeau. Ensuite, sa mère apporta un drap pour couvrir le corps de l’aviateur, étendu près de la carlingue étoilée.

Camille Bregeon, 19 ans en 1944, habitant alors au Thibeuf, était dans la vigne du Cerne et vit déboucher de l’est ( Les Salines) un avion au moteur hoquetant.

L’appareil descendit très bas, toucha le sol à l’emplacement du champ de Louis Forgerit, se redressa, passa au-dessus de deux haies successives et percuta les branches hautes d’un chêne le long du chemin des Plantes (à environ 300m. de là). Il perdit le bout d’une aile sous le choc et alla “se crasher” plus loin parmi les arbres. Camille Bregeon courut voir ce qui s’était passé. Le père Lorieu était accouru, une bouteille d’eau-de-vie à la main, “pour soigner” le pilote blessé. Hélas ! Il n’y avait plus rien à faire ; son corps inanimé était recroquevillé sous l’habitacle. Camille Bregeon se souvient des bottes délacées de l’aviateur et de la couleur verdâtre de l’appareil, retourné dans les broussailles.


 Trajets des avions d’après les témoignages

 Jean Bernereau, 24 ans en 1944, conserve une mémoire aiguë de cet évènement. Il allait avec son père dans une vigne située à la Poupardière, lorsqu’il apprit en chemin par Camille Bregeon qu’un avion venait de s’écraser à la Brejonnière. Il se rendit sur les lieux et vit l’appareil démantelé, retourné sur le dos, le cockpit arraché. Le cadavre du pilote gisait à terre, près de l’avion, à plat ventre, sans parachute et les bottes entièrement délacées.


A côté de la stèle une borne représentant un flambeau et l’emblème du drapeau Américain.
Elle indique que l’avion s’est écrasé à 895 Km de sa base.
Au dos il est écrit : Libourne – Bournezeau : 200 Km

Marcelle Martin-Valette, 18 ans en 1944, domiciliée à Bournezeau, partit en toute hâte à la Brejonnière, dès que l’évènement fut connu dans le bourg. Elle remarqua, en arrivant, les débris de l’avion de couleur kaki. De nombreux curieux étaient déjà là et certains d’entre eux scrutaient le sol à la recherche d’un objet quelconque. Marcelle Valette trouva la montre-bracelet de l’aviateur, en partie couverte de terre, et la remit à un gendarme de Bournezeau, en cachette des Allemands. « Il paraît, dit-elle, qu’après la guerre on vint la récupérer à la gendarmerie, ainsi que d’autres affaires du Lt.Goëtz. »

 Louis Lorieu, 35 ans en 1944, partait dans les vignes en direction de la Borelière et vit passer les trois avions. C’est à son retour qu’il apprit ce qu’il était advenu près de chez lui. Il confirme que son père fut aussitôt présent sur le lieu de l’accident. Il donne, en outre, des détails techniques particuliers et précis :

- L’hélice à trois pales, détachée de l’appareil.
- L’existence d’un “horizon artificiel”.
- Les plaques de revêtement en alliage très léger, fixées par des vis surprenantes à l’époque, car elles permettaient un démontage rapide en une fraction de tour, en cas de réparation/vérification.
- La verrière de l’habitacle, en plexiglas, émiettée par le choc.
- Les ailes avec le bord d’attaque, percé  de deux trous pour les pièces d’armement.
- Un petit obus fut également récupéré dans l’avion.

Ces deux derniers points donnent à penser que l’appareil appartenait vraisemblablement au type Mustang, équipé de deux mitrailleuses de 12 mm7 et de deux canons de 20 mm.

Avant d’emporter sur un semi-remorque les ailes et le fuselage de l’avion, les Allemands récupérèrent l’essence des réservoirs. Pour ce faire, ils empruntèrent à la famille Lorieu un récipient, qu’ils rendirent, en laissant au fond, du carburant plein de dépôt. Celui-ci, soigneusement filtré et précieusement conservé, servit, quelque temps après, pour transporter à Chantonnay dans la voiture de Firmin Sire (tailleur et marchand de tissus à Bournezeau), une des filles de la famille Lorieu, Thérèse, qui s’était fracturé l’épaule en jouant.

Robert Avril, 9 ans en 1944, habitant alors la Coussaie, se rappelle deux avions aux ailes marquées d’étoiles blanches ; ils tournèrent à basse altitude, après que se fut écrasé l’appareil américain. Peu après, une voiture allemande qui roulait à vive allure vers le point de chute, faillit renverser le jeune Avril.

Louis Forgerit, 16 ans en 1944, domicilié au Fremier, donne un détail qui mérite attention. Peu de temps après l’accident, son père et lui remarquèrent dans le champ des Plantes (à gauche du chemin en allant aux Pineaux) que la terre des sillons de choux portait, sur plusieurs mètres, des traces du ventre de l’avion. Cette constatation, comparée à la hauteur du point d’impact sur le chêne-futaie le long du chemin des Plantes, fait dire à Louis Forgerit que le pilote volait pratiquement en rase-mottes et qu’il tenta alors vraisemblablement une ultime ascension qui le conduisit dans les branches hautes de l’arbre, sans réussir à passer au-dessus.

Ce rapport corrobore celui de Camille Bregeon. Étant donné qu’après avoir touché le sol, l’avion a repris de l’altitude, les deux témoins estiment que le pilote était en vie à ce moment-là.

Hardisty Robin, ancien pilote de la RAF, domicilié à la Guyornière dans la commune des Pineaux, a fourni un renseignement très intéressant au sujet du comportement des aviateurs alliés en situation critique, obligés de quitter leur appareil sans pouvoir utiliser leur parachute, par exemple en altitude excessivement basse. Ils se débarrassaient de toute entrave corporelle, afin de s’extraire rapidement de l’habitacle, aussitôt l’avion posé en catastrophe, car ils ne disposaient que de deux ou trois secondes pour échapper à une explosion fatale de l’appareil. Selon Hardisty Robin, l’absence du parachute et les bottes délacées peuvent laisser supposer que le Lt. Goëtz s’était préparé à un tel comportement.


Stèle de l’aviateur Joseph Goëtz
A côté, on ne voit pas sur la photo le drapeau Américain offert en 1996 par le Colonel Le Jarriel des Châtelets,
commandant le 2ème régiment de chasseurs dans la Meuse

Francis Herbreteau, 11 ans en 1944, vit passer les camions allemands qui, le lendemain emportèrent le cercueil de l’aviateur et les restes de l’appareil accidenté. Le convoi traversa le bourg pendant le déjeuner et Mmes Arrignon et Giraudeau lancèrent, au vol, des fleurs dans le camion qui transportait le cercueil.

Gendarmerie de Bournezeau : les renseignements, donnés à l’époque par le rapport de la gendarmerie de Bournezeau, sont quelque peu étranges, en ce qui concerne l’immatriculation, la marque et l’origine de l’avion …

Seule, l’immatriculation erronée s’explique par le fait que l’appareil étant retourné sur le dos, les lettres peuvent être lues à l’envers. Quant à l’indication « Hamilton Standard », c’est la marque d’un fabricant d’hélices et l’étoile blanche, signalée par maints témoins, n’a jamais représenté la nationalité britannique…

D’autre part, après l’événement, la rumeur publique de Bournezeau prétendit que des combats aériens avaient eu lieu dans la région de Fontenay-le-Comte, ou l’avion du Lt. Goëtz avait été touché. Or, le témoignage du Lt. MacKennon constitue un démenti formel à ce bruit encore répandu.

Les journaux de l’époque ne donnent aucune indication se rapportant à cette rumeur, ni à la chute de l’avion.

Les recherches ont été effectuées à la médiathèque de Nantes, “le Phare”, auprès  d’Ouest-Eclair à Rennes, auprès de l’imprimerie Potier à La Roche- sur-Yon, “le Messager”.

Le lendemain, les Allemands emportèrent le corps du pilote qui fut enterré au cimetière de la Gaudinière à Nantes. Une croix de bois fut dressée à Bournezeau, à l’endroit même, où le Lt. Goëtz avait trouvé la mort.

Après la guerre, le corps du Lt. Goëtz fut transféré au cimetière américain de St. James, près de Pontorson.

A l’occasion du 50ème anniversaire de cet évènement, la commune fit construire une stèle, afin de le commémorer et de rendre hommage au pilote américain.

Gaby Pelon, l’initiateur du projet, fabriqua une plaque relatant l’évènement.

Le mémorial ci-dessus fut inauguré, le 24 avril 1994 par Guy Bohineust, maire à l’époque.

Jean-Claude Couderc

Les témoignages ont été recueillis par Jean-Claude Couderc avec la participation de Jean Bernereau