Les foires de Bournezeau

 


La foire de Bournezeau avant 1900. On observe les bestiaux sur la place de la Mairie
et les stands des marchands forains sur la place des Trois Canons

Ah! la foire de Bournezeau… Le 1er mardi de chaque mois, on y venait de tout le pays alentour et parfois de très loin par différents moyens: le train, la voiture à cheval ou autres. Les rues s’emplissaient dès le matin et pour toute la journée. Le bourg devenait une ruche d’animation. C’était une occasion de retrouvailles; On se connaissait, on trinquait bien Les bistrots ne désemplissaient pas.

La grande place devant l’église était occupée par les bestiaux : les vaches d’un côté, les bœufs de l’autre. Le marché débutait au roulement de tambour du garde champêtre. Les hommes étaient toujours vêtus de la traditionnelle blouse noire de foire.

La foire de Bournezeau avait la réputation d’être la plus importante de la région. Quand a-t-elle commencé ? Personne ne saurait le dire mais on en trouve des traces aux archives départementales dès 1730 dans un rapport sur l’élection de Fontenay-le-Comte.

Sous l’Ancien Régime Bournezeau appartenait à l’élection de Fontenay-le-Comte qui était composée de 172 paroisses. Une élection était une circonscription fiscale. Aujourd’hui on parlerait d’arrondissement.

Il y avait 87 foires dans cette élection:
-7 à Bournezeau : 3 janvier ; 1er jour de Carême ; 2 mai ; 1er mardi de juin ; 1er mardi de juillet : 27 septembre ; 7 octobre.
- 2 à Sainte-Hermine,
- 3 à Fontenay-le-Comte, - 4 à Luçon, -5 à Mareuil, -5 à Mouchamps, - 6 à la Châtaigneraie, - 6 à Mouilleron. Dans cette même élection, il y avait 18 marchés chaque semaine, dont 1 à Bournezeau, chaque mercredi. Il s’y vendait du sel.

C’est à Bournezeau qu’il y avait le plus de foires dans les années 1730 !

Dans les recherches entreprises par l'abbé Henri Seguin , il est déjà fait état, en 1842, de l'étroitesse des lieux pour accueillir le nombre important des animaux proposés à la vente. Le champ de foire était plus petit qu’aujourd’hui. A l’époque, la vieille église occupait une partie de la place de la mairie le long de l’actuelle propriété Bernereau . Au moins deux maisons étaient gênantes puisque implantées sur la place dans le prolongement de l’église. En 1878 elles ont été achetées puis démolies sur décision du conseil municipal, les matériaux ont été vendus…

Un autre document indique que Bournezeau était un des plus gros marché de sel de la région Bas-Poitou au 16éme et 17éme siècle. Il fallait donc que les voies de communication existent à cette époque pour acheminer le sel vers l’intérieur des régions françaises. A cette époque reculée il devait y avoir d’autres marchandises : la foire de Bournezeau pouvait alors exister, peut-être sous une autre forme.

L’activité étant essentiellement agricole, il y avait aussi, dans l’année des jours de “gagerie”. A la St Jean (vers le 24 juin) et à la St Michel (vers le 29 septembre), les fermiers rencontraient les ouvriers agricoles qui voulaient se faire embaucher. En 1863, au conseil municipal, il est question d’une deuxième assemblée de gagerie le jour de l’Ascension, en plus de celle de la St jean. Le compte rendu fait état du refus de l’assemblée présente. La proposition est considérée comme un “usage désastreux” par les maîtres de Bournezeau et des environs qui embauchent de la main-d’œuvre. Pour preuve de l’importance de ces embauches, il est écrit que les maîtres sont obligés de contracter souvent avec des inconnus et plus fréquemment encore avec des jeunes gens tout à fait étrangers à l’agriculture du pays. L’avis des intéressés n’est pas mentionné.

Cependant, l’évolution de la foire de Bournezeau s’est faite par rapport à l’agriculture. Au départ, c’était un grand rassemblement de personnes où la population, essentiellement agricole, proposait des animaux à la vente. Ceux-ci étaient acheminés, le plus souvent attachés derrière une charrette à cheval, pour circuler sur les routes. A l’époque on marchait beaucoup à pied, mais la bicyclette était vraiment la petite reine, la manière moderne individuelle pour se déplacer. Puis les moyens se sont modernisés avec les bétaillères et les camions…Au début, le Chemin de fer a contribué au rayonnement de la foire de Bournezeau, la gare étant située à moins de 2 km du bourg.


Bournezeau sur la route du sel.
Aux 16ème et 17ème siècles, le plus gros marché du sel de la région.
Carte du Bas Poitou vue dans l'ouvrage "La Vendée des origines à nos jours"

Le pays de Chantonnay a été une des premières régions de France à importer puis à sélectionner les animaux de race charolaise. Tous les anciens se souviennent des veaux blancs de race charolaise, donc achetés dans la Nièvre et arrivés la veille par wagons à la gare. Les marchands de bestiaux les amenaient, avec leurs camions, passer la nuit dans les écuries du bourg. Le matin, ils étaient attachés aux boucles, le long du mur du champ de foire aux bœufs.

Les paysans allaient y choisir celui qui leur convenait le mieux en tant que cher, mais ils étaient beaux et surtout bons améliorateurs de la race, l’insémination artificielle n’existait pas. Les jeunes taureaux castrés, destinés à faire des bœufs de travail dans les fermes, avaient aussi leur place.

Les cultivateurs les mesuraient avec un bâton de foire. Quelques-uns s’en servaient comme une toise, c’était un moyen distingué de la connaissance, un moyen d’affirmation de la personne. Pas toujours très efficace, c’était aussi une manière de se montrer.

Les marchands, souvent appelés maquignons, étaient les plus matinaux. Repérables à leur blouse noire, le crayon et le bloc-notes bien en apparence pour marquer leurs transactions, ils étaient présents dès l’arrivée des animaux, observant l’approvisionnement de la foire, jugeant du poids et de la qualité des bêtes. Ils avaient une manière d’évaluation presque habituelle : Un coup d’œil rapide sur l’arrière pour l’appréciation dudéveloppement de la cuisse, puis deux doigts bien sentis, posés sur la cavité en haut de la queue, les renseignaient sur l’état d’engraissement de l’animal. Un recul de quelques pas, sur le travers de la bête, leur permettait d’avoir une idée sur le poids. Pour les animaux plus âgés, l’examen de la dentition les renseignait sur l’âge.


Cette photo extraite d’Ouest-France a été prise le mardi 6 février 1962.
Le champ de foire de Bournezeau était bien garni, il y avait 250 bovins.
Le syndicat des exploitants agricoles, sous l’impulsion de son président Joseph Bossard , venait de faire l’acquisition d’une remorque bétaillère. ( On la voit sur la photo). Elle a facilité l’acheminement des bestiaux sur la foire.
Il y avait aussi ce jour un concours d’animaux gras,
le premier prix, 30 nouveaux francs, a été attribué à Marius Mazoué des Pineaux.

L’appréciation de l’animal étant terminée, la transaction pouvait commencer. S’en suivait une longue tractation : Acheteurs et vendeurs essayaient de se mettre d’accord. Les sentiments n’existaient pas, chacune des deux parties défendant âprement ses intérêts. Le marchandage parfois pouvait durer longtemps, le maquignon insistant surtout sur les défauts, l’éleveur mettant en avant les qualités de la bête… Qui de l’acheteur ou du vendeur allait céder ? Surtout que le prix au départ était souvent surfait… Qu’auraient dit les autres éleveurs si le marchand avait acheté sans discuter ? La marchandise valait certainement plus…Des cris, des plaisanteries (Un bon maquignon n’a jamais sa langue dans sa poche), des rires, des silences parfois. « Réfléchis bien sur le prix, tu ne trouveras pas mieux… », entendait-on souvent.

Parfois, pour allécher, le portefeuille gonflé de billets du début de foire était montré ostensiblement. « Tu seras payé tout de suite si on fait affaire… », comme une incitation… Toujours la méfiance, c’était le grand principe du maquignonnage…Découvrir le défaut de la bête, essayer de déjouer la ruse du vendeur…

Enfin par une tope vigoureuse, comme une poignée de main appuyée, l’accord avec l’un ou l’autre marchand se faisait le plus généralement…Celui-ci, avec une marque personnelle (coup de ciseaux ou de craie de couleur), identifiait les bêtes achetées. Le règlement se faisait le plus souvent, autour d’une bouteille de vin rouge aux bistrots du coin, lesquels connaissaient une affluence particulière ce jour là. Des billets de banque sortaient des portefeuilles gonflés et passaient de main à main : Des espèces que les éleveurs appréciaient. Le carnet de chèque n’existait pas. Les affaires se compliquaient dans le métayage. Dans ce mode de faire valoir de l’époque, le prix des produits agricoles vendus était partagé par moitié entre le fermier et le propriétaire. Pour réaliser la vente, l’accord devait se faire entre les trois parties : le propriétaire, le fermier et l’acheteur.

Sur la route de la Roche se tenait le champ de foire des petits cochons (place des papillons maintenant). Sa création remonte très loin. En 1849, il est fait allusion aux travaux à réaliser. La commune a échangé un bout de chemin contre un terrain de 3ares 60, appartenant à madame Bousseau. Une autorisation préfectorale a été demandée et accordée pour cet échange.

De bonne heure arrivaient les paysans avec leurs “mues”, des cages en bois construites tout exprès, remplies de petits cochons sur une litière de paille. Les charrettes à cheval assuraient le transport le plus souvent. A l’époque les voitures étaient rares ou inexistantes.


Une mue retrouvée
au Vieux Château de Bournezeau.

Là encore les discussions étaient vives pour conclure le marché… Les vendeurs marquaient les petits cochons retenus avec une craie de couleur et allaient les livrer en campagne. Ceux-ci, achetés à l’unité ou par deux maximum, mangeaient les “lavures”, l’eau de cuisson des légumes et les déchets ménagers consommables, le complément de nourriture venant de la cuisson des patates. Le cochon produisait une viande économique, très appréciée à l’époque.

Le champ de foire aux volailles se trouvait sur la petite place des halles et était plutôt le domaine des ménagères. Elles y apportaient leurs grands paniers d’œufs, leurs poulets par paires, canards, oisons et même des chevreaux. Même si l’acheteur était toujours un homme, elles n’étaient point impressionnées pour marchander, résister aux railleries et vendre au meilleur prix…

Les anciennes halles faisaient partie de l’enceinte de la foire. En 1848, il en est fait mention mais leur existence est bien antérieure. Un fait divers, daté de 1699, atteste qu’elles existaient déjà. C’était un vaste bâtiment ouvert comportant 5 passages entre les emplacements des marchands : 26 m. de long et 18 m. de large ; la toiture étant supportée par des piliers. La location incombait à la commune qui se chargeait de récupérer les droits de place des marchands.

Il fallait beaucoup d’espace, à l’extérieur. Le bord des places était réservé aux marchands forains de toutes sortes : étalages variés de tissus, mercerie, chaussures, sabots de bois, lingerie, coutellerie, gâteaux (échaudis), sans oublier les poissons et les coquillages venant de la côte. On trouvait même des marchands de chansons. Il était possible d’acheter les paroles sur place et de les apprendre au son de l’accordéon, ce qui mettait de l’animation. Les camelots criaient fort, vantant leur marchandise pour attirer la clientèle. L’ambiance était celle de la foire. Et certains, en fin de journée, ayant un peu trop bu, avaient quelque peine à rentrer chez eux. Parfois c’était le cheval habitué qui ramenait, sans encombre, son propriétaire vers l’écurie !

La mécanisation est arrivée très vite, bouleversant les traditions… L’implantation d’usines dans le pays, principalement de chaussures, a drainé une main d’œuvre active de jeunes. Les échanges commerciaux se sont développés à toute vitesse, changeant d’orientation. D’une économie de subsistance, l‘agriculture a été confrontée aux impératifs de rentabilité pour suivre la modernisation en marche. La population a cessé d’être exclusivement agricole et la foire de Bournezeau a connu un déclin rapide avec une présentation de bovins insignifiante à la fin… Le commerce des animaux a cessé vers l’année 1975…

Les camelots ont bien continué, mais ils ont perdu des clients et…leur ardeur, l’affluence n’y étant plus…

Tour à tour, les bistrots ont perdu leur clientèle qui n’était plus au rendez-vous. En même temps les habitudes ont changé…

Il y a belle lurette que le marchand de chansons avec son accordéon s’en est allé. Finies les vieilles traditions de notre bon vieux temps... Fini le roulement de tambour du garde champêtre.

Le 1er mardi de chaque mois la foire de Bournezeau existe bien encore, mais simplement c’est devenu un marché

Joseph Bonnet

Sources :
- Documents d’Annette Bossard .
- Documents de l’Abbé Henri Seguin