Fernand BORDAGE “Toucheur” de bœufs

Fernand, agriculteur au village des Brosses à Saint-Vincent-Puymaufrais, a cessé son activité le 1er novembre 1989. C’est une page qui se tournait pour cet éleveur qui avait la passion des animaux et des attelages de bœufs. Il était l’un des derniers toucheurs de bœufs de la région. Fernand est maintenant rentré dans l’histoire. Nous rappelons un peu la vie de ce paysan traditionnel qui a marqué la population locale. Fernand Bordage est né le 3 février 1932 à Villeneuve de Bournezeau. Son frère jumeau s’appelle René. Sa sœur Yvette est née en 1933.


Fernand Bordage vers 1955

Ses parents : Églantine Rattier née en 1911, Fernand Bordage né en 1907, ont vécu, à l’époque après leur mariage en 1931, à Villeneuve, avant de s’installer dans une ferme à la Boule, puis en 1939, à la ferme des Brosses de Saint-Vincent-Puymaufrais

Lieu historique : Les Brosses

La ferme est au cœur d’une région connue et célèbre du temps des Guerres de Vendée, comme le décrit avec beaucoup de chaleur Henri de Villedieu de la Réorthe, une région qui était contrôlée au début de l’insurrection de 1793 par Gaspard de Béjarry et ses 400 hommes. Elle faisait partie de Saint-Vincent-Fort-du-Lay, fusionné depuis 1833 avec Saint-Vincent-Puymaufrais.

La ferme est appelée les Brosses. Maurice Bedon, l’historien chantonnaysien rappelle qu’elle a été le théâtre d’un combat à la fin des Guerres de Vendée. Le 1er ventôse de l’an IV (20 février 1796), quatre officiers vendéens étaient dans une métairie. Trahis, puis encerclés, trois réussirent à s’échapper, le quatrième combattit jusqu’à ce qu’il tombe de quinze balles. La ferme des Brosses, vendue comme bien national, a été rachetée par la même famille Béjarry qui en avait été dépossédée le 7 février 1799.


Lieu-dit Les Brosses en 2013

Comme autrefois, la polyculture

Ce petit coin de la Vendée profonde et pittoresque va perdre de son charme et de son originalité avec le départ de cette famille d’agriculteurs “à l’ancienne mode” au sens noble de l’expression.

Églantine et son mari Fernand se sont donc installés en 1939, avec leurs trois enfants, à la ferme des Brosses. Comme tous les enfants des villages, Fernand, René et Yvette allaient à l’école à pied, tout d’abord à la Réorthe, puis à l’école de l’Augoire. René et Yvette ont quitté le domicile familial à leur mariage. Églantine devint veuve en 1968. Elle resta donc avec son fils Fernand, célibataire.

Patrick Guigné, petit-fils d’Églantine et neveu de Fernand, a travaillé à la ferme de 1981 à 1989. Après son mariage, il a quitté Les Brosses, pour aller travailler à la Gaubretière. Dès l’âge de 9/10.ans, Patrick allait déjà aider Fernand, le mercredi, le samedi et quand il n’y avait pas d’école.


Les 4 bœufs de Fernand
attelés à la vanneuse lors d’une fête de battage.

Ils ont cultivé avec amour cette terre de 47 ha à l’exemple de leurs ainés, défiant le progrès et l’aventure. Comme autrefois, ils ont fait de la polyculture : betterave, blé, chou, maïs, foin, luzerne, un peu de tout et de l’élevage de charolais. En 1988 il y avait soixante-dix têtes de bétail. Ils avaient également des chevaux : deux juments poulinières et un poulain.

Églantine Bordage élevait cochons, poulets, lapins, comme au bon vieux temps. Leur principe : vivre tranquille, sans emprunt, achetant quand l’argent était là.

Pour leur retraite, Fernand et sa mère avaient, depuis quelques années déjà, acheté, entretenu et amélioré une maison à Bournezeau.

Boeufs Bordage 5
Deux bœufs de Fernand
attelés sur un tonneau un jour de fête

Dresser les bœufs


Fernand Bordage avec deux bœufs
aux Brosses en mai 1988.

Il n’y a pas de durée fixe pour dresser les bœufs. Certains, après trois sorties sous le joug, marchent très bien… D’autres, au bout d’un an, seront aussi bêtes que la première fois  Il est nécessaire de lier d’abord un jeune bœuf avec un vieil habitué au joug. C’est comme un gosse pour l’apprendre à marcher, on le tient par la main.Après un temps d’apprentissage, plus ou moins long, on lie les jeunes ensemble et on les attache à un arbre.

Il faut les surveiller, et ils connaissent leur homme. Un jour, pendant que je coupais des choux, mon neveu a voulu détacher les bœufs. Ils sont partis comme des fous en courant, ont sauté les clôtures, se sont arrêtés à un buisson de houx après bien des dégâts

Une autre fois, un jeune homme a voulu voir, par dessus la haie, mes bœufs attelés à une charrette. Ils ont pris peur, ils sont très peureux, ils se sont emballés en traînant la charrette. Quelle course épouvantable, je criais : tot é perdu, tot é perdu ».Fernand, après avoir traversé les champs en courant, a réussi, après plusieurs kilomètres, à se trouver devant pour les arrêter.

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Tous les ans Fernand vendait deux bœufs gras et en dressait deux autres pour assurer la relève .


Fernand conduit ses quatre bœufs et sa jument pour tirer la vanneuse un jour de battage.

Toucher les bœufs

Conduire des bœufs est un art :

« Avec certains  “boués”, des bœufs démarrent et marchent au commandement. Avec d’autres ils ne bougent pas. Faut savoir leur parler. Souvent, je leur parle, pour eux je chante. Ils connaissent leur maître, sa voix, son odeur. Faut de la douceur, de la patience ».Il y a une manière de les piquer, avec la pointe au bout de l’aiguillon : « Si vous appuyez ferme, vous crevez la peau. Faut avoir du doigté. Moi, je n’ai jamais fait saigner mes bœufs ».et Fernand conclut avec un brin de nostalgie « Dans les fermes, l’amour des bêtes c’est fini. Aujourd’hui on préfère entendre “péter” les tracteurs. »

Des bœufs pour le travail et pour la fête :

Pour ses bœufs, Fernand avait de l’admiration et de l’affection. Il en parlait avec de l’émotion dans la voix. À eux, il a parlé, chanté.

«À cinq ans, j’ai commencé à garder les vaches du matin au soir »nous dit Fernand, « en partant vers 10 heures, rentrant le soir vers 6 heures, quant on venait me chercher. C’était dur »


Le père et le fils Bordage au labour

A 7 ans, il “touchait” (conduisait) déjà les bœufs, On disait que j’étais un bon boué » (bouvier)

Il a toujours conservé des bœufs. Non pas qu’il fut réfractaire au progrès mécanique : depuis 1956, il possédait un solide tracteur. Mais les bœufs étaient pour lui de précieux compagnons,l’hiver, pour charroyer choux et betteraves, et l’été, depuis 15 ans, pour aller aux fêtes »

De cette participation aux fêtes, il en parle avec enthousiasme. Dans tout l’ouest, chaque été pendant trois mois, il conduisait son attelage de six bœufs précédés de sa jument, pour déplacer la machine à battre sous les applaudissements des foules, ou pour labourer.

Il est allé dans les Deux-Sèvres, le Finistère, les Côtes-du-Nord, le Maine-et-Loire, un calendrier très chargé l’accaparant tous les dimanches. Sa dernière sortie c’était le 3 septembre 1989,près d’Angers.« C’étaient de grosses journées. Dès que les bêtes descendaient du camion, je les lavais…Car, quand elles sont sales, ça ne présente pas ».

Toute sa vie, Fernand a élevé aussi des juments. Les dernières, c’étaient “Paulette” une forte jument poulinière de 8 ans, mélange de race percheronne et bretonne, et “Rainette>”, une jeune pouliche.« En 1940, puis pendant toute l’occupation, mon père a fait saillir sa jument pour éviter la réquisition par les Allemands. Depuis, j’ai toujours eu des poulains. »>A la fin de son activité, deux bœufs “Bas Blanc, Roquet” sont partis à Bordeaux pour la viande. Les deux autres paires, “Viens-tu, Trinquet”et “Capricieux, Charlatan” ont été vendues à Denis Bonnin de la Chaize-le-Vicomte, un collègue voisin qui assurait aussi des fêtes de labours

Le départ des Brosses

C’est après 50 ans de labeur fécond et généreux, que Fernand et sa mère ont quitté la ferme des Brosses pour raison de santé, cette ferme. à laquelle ils étaient très attachés, comme à leur propre bien, appartenant à Michel de Béjarry. Églantine avait 78 ans, Fernand 57 ans. Pour Fernand, ce fut un déchirement : La ferme n’était-elle pas toute son histoire d’homme ? Les terres ont été attribuées à une exploitation voisine : aux frères Perrocheau de la Fouquetterie.

Fernand et Églantine s’installèrent donc dans leur maison, rue de la Végo à Bournezeau., ils méritaient bien leur retraite. Églantine est décédée le 10 janvier 1994, Fernand s’est marié en mai 1995 avec Marie-Thérèse Péaud. Il est décédé le 5 avril 2001.


Grange et écuries des Brosses en 2013

Églantine et Fernand étaient connus dans nos communes. C’étaient des personnages, qui ont marqué les habitants de la commune et dont les noms resteront à jamais gravés dans la mémoire de leurs proches.

Louisette Lemoullec

Propos recueillis dans le journal “Vendée Matin” du 18 octobre 1989.
et dans la revue de Radio Alouette “La fin de la Rabinaïe”
Témoignages : Yvette Guigné/Bordage, Patrick Guigné