“Rozé” Orveau, le sacristain

 Un personnage haut en couleurs, au service des autres. Quel personnage ! Pour ma part il m’a profondément et durablement marqué depuis ma plus petite enfance. Roger Orveau était “un incontournable” à chacune de nos vacances au bourg de Puymaufrais, car à l’époque nous habitions dans la région nantaise. Il habitait une des plus anciennes maisons du bourg, voire même la plus ancienne. Cette bâtisse, assemblage de deux habitations en fait, serait une histoire à elle toute seule! Elle correspond aujourd’hui aux n° 3 et 5 de l’actuelle rue du Lay.


Cette photo nous montre la maison de la Famille Orveau avec sur la droite une partie de la forge de famille (toiture avec cheminée devant les arbres). Le n°3 correspondant à la porte de gauche. Sur la droite, entre le muret, autrefois en pierre, et la maison, se trouvaient le célèbre marronnier et la bergère. Ces deux-là auraient eu tant de choses à raconter, car c’était un lieu de confidences…

Dans la famille Orveau, installée depuis des générations dans ce bourg de Puymaufrais, on était forgeron depuis toujours et ceux qui se formaient pour le devenir partaient faire le “tour de France”, à pied bien évidemment. Ils étaient dans le compagnonnage, et ne revenaient au pays qu’après une longue formation près divers maîtres forgerons, qui pouvait durer jusqu’à 10 années, voire plus.

Roger, né avec le siècle en 1900, est le fils d’Elie Orveau surnommé Carnot, maître forgeron lui-même, et de Pauline Béliard réputée pour sa grande bonté et sa douceur. Mais il y avait d’autres enfants : Gabriel tout d’abord, appelé “Gabite” et forgeron comme papa ; Elise dite “la Brasseuse” car mariée à un certain Arthur Le Brasseur, et la petite dernière, Marguerite, appelée “Maguite”. Une famille haute en couleurs, et sur chacun de ses membres on pourrait écrire des pages et des pages, tant ils et elles avaient une personnalité particulière. C’étaient des figures locales, Ô combien !


Roger aimait la compagnie, être entouré par les jeunes en particulier. Mais aussi les enfants et les adultes. Nous le voyons sur ces deux photos en situation : au poste de pilotage d’un avion factice avec deux enfants,

ou comme passager avec deux adultes dans une superbe automobile décapotable, elle aussi factice. Mais il serait peut-être intéressant de connaître le nom de ces personnes qui accompagnent Roger ?

Une des caractéristiques de cette famille était la chevelure des hommes et des femmes. C’était ce que l’on appelait : une “famille à cheveux”, c'est-à-dire à épaisse crinière. Qui ne se souvient de l’intérêt que Roger portait à sa perruque (en sachant que dans le patois local, perruque veut dire vrais cheveux et que coiffure veut dire ce que l’on pose dessus ou couvre chef).

Roger ne pouvait pas être forgeron comme papa, étant reconnu peu robuste. D’ailleurs à 20 ans, au moment du service militaire, il fut réformé car reconnu trop fragile des poumons. Les médecins militaires l’avaient même condamné. Il a pourtant bien vécu et n’a quitté cette terre qu’à l’âge de 75 ans ! Il est donc devenu “multi fonctions” :

À commencer par son métier de coiffeur tout d’abord, dans son salon ou bien à domicile.

Ah ! le salon, ou plutôt les salons devrais-je dire.

Avec en entrant par le n° 3 de la rue du Lay actuelle, le salon où l’on cause avec sa table ronde autour de laquelle nous aimions, nous, enfants, entendre les grandes personnes converser, beaucoup sur les voyages. Car Roger et ses deux sœurs avaient pas mal voyagé pour l’époque, avec en particulier la Belgique où ils rencontrèrent le roi Baudouin, et son épouse la reine Fabiola. Mais aussi la visite des champs de bataille de la guerre 14/18 avec comme guide, un vieux cousin, ancien officier passionné d’histoire et ayant vécu ces années dramatiques. Et que dire des divers lieux de pèlerinage en France, tout autant que d’Israël et de la Terre Sainte !

Et puis, à l’arrière de la maison, le si célèbre salon de coiffure. Alors là tout est dit. Dans cette petite pièce mal éclairée, il coupait les cheveux et causait en même temps. Que de parties de rigolade, pour les clients. Parfois Roger disait au client : « Tu sais i vé te dire quêque chouse mais tu n’au diras à persoune » !!! Mais belote et rebelote, aux clients suivants, il disait la même chose. Ce qui fait que tout le monde se trouvait mis au courant ! Il excellait dans l’art de la conversation, donnait les nouvelles, et l’on apprenait qui devait se fiancer, se marier, qui fréquentait qui, mais aussi les maladies et les décès, et aussi tant d’autres choses.

Dans son salon il vendait de l’eau de Cologne, des parfums. Mais il ne faut pas oublier les chapeaux et les casquettes qu’il s’évertuait à vendre à prix coûtant car il voulait les vendre moins cher que sa chère cousine Hélène qui tenait l’épicerie à côté ! Dans ce salon, les jeunes aimaient se retrouver le dimanche après-midi…L’ambiance était à la clé ! Il y en avait de l’animation dans ce petit bourg !

Quand il partait dans les villages pour la tournée de coupe des cheveux, il faut se le rappeler à vélo ou en solex avec la célèbre petite valise sur le porte-bagage, ayant à l’intérieur tous les accessoires du parfait coiffeur. Il passait de maison en maison et dans certaines, il s’arrêtait le midi pour déjeuner.


Nous le voyons sur cette photo en pleine action. Photo du salon prise dans les années 30 avec un client. D’ailleurs qui est ce client ? A cette époque Roger avait un peu un look “à la Charlot”.

Mais l’activité qui l’a fait connaître bien au-delà du Landerneau local, c’est d’avoir été le sacristain de l’église de Puymaufrais jusqu’à sa mort. Il était omniprésent à tous les moments importants de la vie quotidienne de notre communauté villageoise : les baptêmes, les mariages, les sépultures, et les messes dominicales et quotidiennes.

Qui n’a pas souvenir du fameux claquoir qui réglait les “assis, debout, à genoux” tout au long de la liturgie ! Je dois dire que ce “célèbre” objet m’attirait particulièrement. Qu’est-il devenu ?

Roger sonnait l’Angélus trois fois par jour : à 7 H 00, 12 H 00 et 19 H 00. Mais le parcours entre sa maison et l’église, environ deux cents mètres, avait de nombreuses stations. Donc Il ne sonnait pas toujours pile à l’heure. Mais comme il disait : « Ce n’est pas grave. C’est souné ».

Comme sacristain, lors des cérémonies, il portait une soutane noire avec son fameux surplis. On aurait dit un prêtre ! D’ailleurs, lors des repas qui suivaient traditionnellement les cérémonies comme les premières communions et communions solennelles, auxquels il était souvent invité, plusieurs personnes s’étaient trouvées flattées de manger à côté du curé. Et bien non, ce n’était pas le curé mais bien notre Roger national !

Lors de ces agapes, il savait faire rire les invités. C’était vraiment une marque de fabrique dans cette famille. On donnait dans le convivial, la conversation. Je me répète, oui. Oui, mais c’était tellement lui.

Pour les baptêmes il lui arrivait de monter carrément dans le clocher pour sonner les cloches façon carillon.

Pour les mariages il était, là aussi, très souvent invité. Il en a fait 104, et ça il savait le dire. En smoking (pas courant dites donc), il avait souvent pour cavalière la chère Milia (Emilia Levieux), avec sa fameuse longue robe noire. Quand ils dansaient tous les deux…Milia, elle aussi aimait beaucoup rire. Il y en avait de l’ambiance !

Deux âmes, bien peu charitables à mon avis, s’empressèrent, Roger étant parti en pèlerinage, de brûler cette fameuse soutane et ce superbe surplis. Cela se fit en douce, dans le jardin de la cure. Il en fut profondément meurtri.


Sur cette photo d’une mission janvier/février 1953, Roger au milieu porte la grand-croix.
Il a commencé à prendre de l’âge et les cheveux du milieu ont commencé à se faire rares. Donc il lui reste les deux touffes sur les côtés. Et il en était fier.
Certains, sur cette photo, pourront se reconnaître? Comme Babi Orveau et Samuel Charrier, en enfants de chœur!

Monseigneur Cazaux, évêque de Luçon de 1941 à 1967, disait en le voyant arriver : « Voilà le chapelain de l’abbaye de Trizay ». Lorsque ce même évêque venait pour les confirmations, il recevait les enfants sur le perron de l’école privée des filles au bourg de Puymaufrais. Il était debout sur la plus haute marche, ayant devant lui les jeunes confirmés, dont un des enfants était chargé de lire un “compliment”, et il posait sa main droite sur la tête de Roger en disant « Ah ! Notre cher sacristain, qui n’est pas coiffé comme tout le monde. »

Roger était quelqu’un de nature, qui disait ce qu’il pensait. Il ne donnait pas dans le politiquement correct. Beaucoup de gens à cette époque étaient comme lui. Je me souviens d’une expression que disaient les anciens et que je peux traduire par : « On est ce que l’on est et on ne cherche pas à ressembler à quelqu’un d’autre. » Cela pourrait peut-être nous faire réfléchir encore aujourd’hui!

Qui ne se souvient de son allure si particulière ? car il portait sa veste sur ses épaules sans passer les bras. Et qui ne se souvient aussi de sa célèbre cape noire qu’il a portée si longtemps ? Il allait souvent tête nue, et que dire lorsque le vent s’emmêlait dans sa chevelure généreuse. Mais lors de l’arrivée des fraîcheurs il portait souvent un béret.

Pour la vente à la crèche il montait sur la pierre à la porte de l’église et faisait tout son possible pour faire monter les enchères. Pas de soucis car rien ne rentrait dans ses poches. Tout allait directement pour la paroisse.

Il a été à l’initiative de l’érection de la statue de Notre Dame du Sacré Cœur au carrefour de Trizay.

Il était un fidèle zélateur pour faire connaître et les pèlerinages (Issoudun, …) et diverses revues pieuses dont il assurait la distribution, avec la vente de diverses médailles et chapelets…

On ne peut oublier le “Petit Jésus de Prague”. Commençons par une petite page d’histoire générale. Le culte est ancien et s’est beaucoup développé à la fin du Moyen-âge. La statue originale, en cire, de 48 cm de haut environ, se trouve actuellement dans une église de Prague (République Tchèque actuelle). Elle est le support d’une dévotion envers l’enfance de Jésus chez les catholiques : Montrer un petit enfant humble et fragile portant le globe terrestre dans sa main et une couronne sur sa tête, deux symboles de la royauté sur le monde. Au départ, la statue se trouvait en Espagne. C’est une aristocrate espagnole qui l’apporta dans ses bagages lorsqu’elle vint se marier avec un seigneur tchèque, ceci au XVIIème siècle. La dévotion au petit enfant Jésus était déjà très répandue dans les pays latins du sud comme l’Espagne et l’Italie. C’est la religieuse carmélite Sainte Thérèse d’Avila qui aida beaucoup à faire connaître ce petit Jésus. D’ailleurs, aujourd’hui encore dans le monde, on trouve dans beaucoup de carmels une copie de cette statue.

Les évènements historiques après la seconde guerre mondiale firent que l’église de Prague fut fermée et que de nouveaux sanctuaires en Europe de l’ouest se développèrent. Et c’est avec celui de la ville de Tongres en Belgique, que Roger était en relation.

Il avait payé de ses propres deniers la statue pour la paroisse de Puymaufrais. Il priait beaucoup Jésus comme petit enfant et a œuvré à le faire connaître autour de lui.


La statue actuellement dans l’église de Puymaufrais.

Il était impliqué à fond pour le pèlerinage annuel de la Ricottière, ainsi que lors des fêtes paroissiales, comme celles se déroulant au château de la Roche-Louherie.

Roger était ce qu’on appelle un passionné. Et il ne l’était pas uniquement pour tout ce qui touchait à la religion.

Par exemple, entre 1953 et 1958, il fut une des chevilles ouvrières pour la création de l’équipe de basket de Puymaufrais. Il aimait les gens et leur portait un intérêt certain.

Il ne faut pas oublier son petit oratoire au fond de son jardin, construit au milieu d’une touffe de cupressus, avec au milieu une statue de la Sainte Vierge, dite vierge en cailloux (porcelaine blanche). Tout autour, Roger fit une décoration, essentiellement en découpant les dentelles papier des images pieuses (dorées et argentées surtout). C’était un lieu qui portait à la prière. Il lui en a fallu de la patience et de la virtuosité au niveau des doigts alliés aux ciseaux et à la colle !


Nous pouvons voir sur cette photo l’intérieur de ce petit lieu si important pour Roger. Il tenait à lui garder ce côté intime et personnel, et donc ne le laissait pas ouvert à la curiosité de tous.

Pour terminer, je voudrais dire qu’il était quelqu’un de désintéressé, qui ne cherchait pas à faire de l’argent pour de l’argent. Il a souvent payé de sa poche pour des gens qui ne pouvaient pas payer tout un pèlerinage, ou autre objet de piété. Oui, Rozé était un être généreux.

Il fut un brave serviteur.

Lui, qui avait tant servi sa paroisse, et sonné si souvent les cloches pour appeler les fidèles, a vu sa sépulture se dérouler un dimanche après-midi. Ce qui n’est pas si courant. Pour moi, ce fut un beau clin d’œil.

Roger, c’était un look, une allure, une personnalité, un vrai personnage de roman. En parlant de lui, c’est aussi plein d’autres visages qui me viennent à l’esprit. Des figures là aussi de Puymaufrais, comme Bigouillette et sa sœur Gabrielle, les deux sœurs de Roger (déjà citées), Chocolat, Marilou, les deux sœurs Lilise et Germaine, Marthe et son débit de tabac, mémé Elise, mémé Tavie, dite la maraîchine, pépé Dijon, tonton Louis, Piram et sa Titine, Gusta avec son café et son phono, et tant d’autres…

Que de souvenirs…

Une vie au quotidien, dans un petit bourg tout simplement.

Raphaël Pelletreau