Le journal d’un poilu de 14/18 : Henri Selin

 Henri Selin, né le 28 juillet 1890 à Thorigny, agriculteur à La-Grande-Forêt de Bournezeau, décédé en 1978, avait écrit sous la forme d’un journal le récit de sa guerre. Elle a commencé pour lui alors qu’il terminait son service militaire où il avait été appelé en 1911. La durée du service a été augmentée à 3 ans en août 1913. Dès le 5 août 1914, tout son régiment est transporté d’Ancenis vers Bar-le-Duc.

« Les trains ne roulaient pas bien vite, car comment le dire, par endroits les voies étaient engorgées par les trains transportant les réservistes qui rejoignaient leurs destinations. »

Par étapes, ils marchent et passent la frontière près de Charleville-Mezières.

Les premiers combats en août 1914

« Le 19, marche sur Corbillon. A 11h et ¼, nous avons passé le poteau Frontière Belge et le soir, nous avons campé à Corbillon. Tabac, cigarettes et bière sont à volonté et nous sommes très bien vus des Belges.
Le 21, “Flaircevau”. Un fort orage tombe l’après-midi ainsi que des grêlons à verse.
Le 22, marche sur Messin par Palisseul. C’est ici, que pour la première fois, j’ai obtenu le baptême du feu ! Et quelque chose de soigné ! L’ennemi était retranché depuis plusieurs jours et nous attendait à venir.
Arrivé sur le terrain, le Colonel donne l’ordre au Chef de Bataillon de prendre les formations de combat. Chaque bataillon prend une direction dans les champs de blé. Ensuite, c’est le tour aux compagnies de se déployer et enfin aux sections.
Ma compagnie, par chance, se trouve de garde au drapeau. Malgré que nous furent les derniers du régiment (à bouger), nous furent aussi sérieusement exposés. La Compagnie était située tout à fait à la gauche et devait faire liaison avec un autre régiment dont nous n’avons jamais su le numéro. »*
« Nous traversons d’abord un vaste plateau en ligne de section par quatre. Nous nous figurions que c’étaient encore des grandes manœuvres.
Aussitôt traversé un petit ravin, nous voulions atteindre une maison isolée à la cornière d’un petit bois. C’est à ce moment-là qu’une pluie de balles vint nous siffler aux oreilles. Cela nous fait voir que ce ne sont plus des manœuvres, mais bien la guerre ; tous l’avouent.

Henri Selin
Il faut prendre le petit bois d’en face à la baïonnette. Nous recevons également des obus fusants, cela nous ouvre les yeux, mais ne fait pas beaucoup d’effet…

Le porte-drapeau déploie son drapeau et En Avant ! En Avant !

Nous traversons une petite prairie, cela va. Mais arrivés, dans le bois, il n’est plus si facile d’avancer. Nous recevons des coups de droite et de gauche et nous allons finir par croire que nous sommes cernés. Jamais de liaison à gauche. A droite, la Compagnie a la liaison avec le Bataillon.

Je reçois l’ordre de tenir quelques heures pour permettre à l’artillerie de se positionner.

Il faut avouer que nous étions “allés” à la baïonnette avant que notre artillerie soit arrivée après qu’elle ait dû tirer quelques obus.

Ce n’est pas “loin” que nos artilleries soient repérées et il leur faut reprendre position, mais bien en arrière.
Également sur le point d’être complètement encerclés, nous nous retirons en arrière sur le plateau que nous avions dépassé dans la journée.

À minuit, nous recevons ordre de battre en retraite.
Nous y abandonnerons sur ce coin de terrain beaucoup de camarades blessés ou faits prisonniers.
Nous nous replierons jusqu’à Bouillon. Jamais de pause et même pas question de manger. Enfin nous y arrivons le 22 août au soir exténués de fatigue et méconnaissables de par la poussière.

Tout le régiment est rassemblé dans un petit ravin mais, hélas à l’appel, que de places manquantes.
Maintenant, du régiment il est à peu près de la force d’un bataillon avant de se déployer. Les officiers y sont presque tous restés. Pour les sous-officiers, c’est la même chose.

Pour les hommes, ma liste se monte à 1800, et cela en l’espace de 3 à 4 heures. Ah, les voilà les grandes manœuvres !
Là, dirions-nous, nous nous sommes reposés tranquillement la nuit après un recul brusque d’environ 28 kms.
Nous sommes restés camper dans le pays-même.

Pour ma part, je suis bien couché. Et je me dis, en m’étant couché, pourvu que l’on ne nous dérange pas trop tôt demain matin. Mais hélas, la nuit ne fût pas longue !

L’avancée des allemands.

Le 24 août 1914, à 1h, le clairon sonne l’alerte, suivi du rassemblement.
Alors que tout le monde se tient à partir au premier appel, ma compagnie et moi-même sommes désignés pour l’arrière-garde pour garder le pays de Bouillon. C’est pour permettre aux civils d’avoir le temps de partir. C’était lamentable cette retraite de Bouillon.
Vieillards, femmes et petits enfants, tous prennent le chemin de la frontière française… avec la confiance, qu’arrivés à Verdun, ils pourraient s’y reposer quelques jours puis enfin s’embarquer s’il fallait aller plus loin.
Le 24 à 8 h, je quitte Bouillon et passe par Corbillon, Bazeilles, Pont-Maugis.
Nous traversons la Meuse au moyen d’un pont de bateaux fait à la hâte.
De ce petit pays-là, on reçoit l’ordre d’organiser la défense.
Il nous faut distribuer quelques outils, afin qu’avec ceux-ci, nous puissions nous mettre à creuser des sortes de petites tranchées.
Nous tenons une sorte de tête de pont et une ligne de crête fort solide, au cas où une offensive serait organisée à partir de ce terrain.
Le 25, il fait un soleil très chaud.
Comme nous avons travaillé toute la nuit et marché toute la journée d’avant, nous trouvons bon de nous reposer.
A notre proximité, se trouve un petit bois. Toute la section s’y porte, organise un tour de surveillance… et nous roupillons. À 4 heures de l’après-midi, voilà que nous sommes réveillés.
D’abord j’avais cru qu’il s’agissait du tonnerre, mais après quelques minutes, j’ai vu que c’était un canon qui tombe pas loin de nous. (…) Il a trouvé un petit pays : Noyer.
Nous recevons l’ordre de reprendre notre place dans la petite tranchée.
Nous y repartons, mais la nuit arrive et nous n’avons pas mangé de la journée… et rien dans la musette !
Enfin, quelques hommes dévoués vont dans un château près de nous. Ils nous apportent, ma foi, un p… à croûtes.
La nuit s’est passée sans trop d’incidents avec une surveillance tout à fait stricte. Au matin, nous devons recevoir une division de renfort.
Il nous semble que les Allemands récupèrent Sedan, où du moins les crêtes qui l’entourent. Ils tirent sans cesse sur Noyer où ils ont réussi à mettre le feu.
Le 26, le petit pays est la proie des flammes.
Ce jour, à midi, nous recevons l’ordre du chef de bataillon « de tenir coûte que coûte, que nous étions sur le sol Français et que nous devions tenir des positions toutes à notre avantage. » Mais hélas, des événements se produisent sur notre gauche : L’ennemi a réussi à passer le canal et tient les coteaux de Chaumont-Saint-Quentin. Nous sommes menacés d’être cernés.
À 3 h, l’ordre est donné de se replier.
C’est là que j’ai senti mon cœur battre : avoir de très belles positions et les abandonner sans tirer un coup de fusil.
Des cris s’élèvent de toutes parts : « Nous sommes trahis, il y a trahison ».
Tout cela me serrait fort le cœur et ne me donnait guère de courage à continuer le chemin.
Nous marchons sans savoir où nous allons.
La nuit venue, et après avoir fait un grand détour, je m’aperçois que nous sommes revenus un peu en arrière de la cote que nous avions tenu auparavant.
Quelle nuit que celle du 26 au 27 août : Tout le bataillon est rassemblé dans un champ avec une pluie qui tombe à verse.
Le 27 au matin, je suis très content de voir le jour avec un peu de soleil pour nous sécher.
Nous recevons quelques obus qui nous font dire que l’ennemi ne doit pas être bien loin, et aussitôt nous prenons une formation de combat.
Nous marchons pour prendre les coteaux de Chaumont-Saint Quentin et rejeter l’ennemi sur le canal où il n’existe qu’un étroit passage pour se reculer. Mais les positions occupées par l’ennemi sont dures à enlever. Enfin nous nous battons au corps à corps à la baïonnette.

Henri Selin debout 2ème à gauche
Cette journée du 27 août fût très chaude pour nous. Nous occasionnons cependant beaucoup de pertes à l’ennemi, lui prenons un drapeau et faisons quelques prisonniers.

Une mission difficile

Moi, je suis chargé de pousser une reconnaissance jusqu’au pont de bateaux que l’ennemi « occupait » et de dénombrer les occupants. Cette mission était très délicate car il fallait la faire à travers bois.
Je prends les dix meilleurs soldats de ma section et je me dirige sur l’endroit indiqué. Mais les difficultés pour y arriver furent nombreuses. Je perds des hommes et même la direction. Il ne me reste que trois hommes et je me décide à gagner la lisière du bois de façon à me repérer et enfin avoir une liaison.
Arrivé à la lisière, j’aperçois une vaste plaine muette et beaucoup de malheureux étendus.
Je me rallie avec mon petit groupe à une compagnie du 65ème et nous nous repostons sur une nouvelle position.
La nuit du 27 août, nous sommes au beau milieu d’un petit bois sous ravitaillement. Ce qui n’était pas peu dire, il ne me restait dans mon sac que deux biscuits que j’ai partagé avec mes trois hommes, et un peu de sucre que l’un d’eux avait. Voilà le repas, étant allongé par terre. Le sommeil nous gagne.
Le 28, de bonne heure, nous nous replions par un petit chemin sur « Bulson ». Dans ce petit pays, on s’est battu à la baïonnette la nuit dernière, et maintenant l’ennemi, légèrement repoussé, tient les hauteurs avoisinantes.
Toute la division se trouve rassemblée sur un petit plateau. Là je rejoins ma compagnie où il y a beaucoup d’absents. Dans ma section, il ne reste que quatorze hommes.

Blessé

A peine reposés quelques instants, nous recevons l’ordre de marcher sur un point. Chaque compagnie a une mission et pour chaque bataillon, une compagnie se voit affectée de réserve. C’est la mienne qui est désignée.
Je suis de faction pour la liaison entre la compagnie et celle de devant.
Après 4 heures de marche à travers bois et du blé non coupé, il n’y a plus de liaison. J’avance avec mes quelques hommes et d’autres (du régiment) qui sont devant.
Mais, arrivés dans une prairie à droite d’une ferme isolée de Bulson, nous recevons des coups de toutes parts.
Nous avançons par bonds.
D’un lever, nous vérifions la position que l’ennemi tient à la cornière d’un bois qui est à peine situé à 400 mètres de nous. Nous faisons encore un nouveau bond, mais criblés par des mitrailleuses, blessés ou tués restent sur le terrain.
Après la fusillade nourrie, nous mettons la baïonnette au canon pour prendre cette position. Un clairon, qui est là, sonne la charge. Je m’apprête à me lever et à bondir sur la ligne ennemie quand je reçois une balle à la tête. Je suis obligé de m’aplatir.
Après un moment de réflexion je me relève et tourne les yeux vers l’arrière : j’aperçois la ferme auprès de laquelle j’étais passé. Je me décide à y aller en courant.
J’y arrive avec plusieurs balles fichées dans le bas de ma capote. Il se trouvait dans ce lieu un poste de brancardiers qui me firent un pansement et à d’autres copains. La balle n’avait fait qu’effleurer le coté droit de ma tête. Le major me dit que ce ne serait rien. Cependant, aussitôt le pansement fait, je suis obligé de m’étendre par terre. La tête me tourne et aussitôt couché, je m’évanouis.
Quand je rouvre les yeux, je ne vois plus de brancardiers mais que des hommes grièvement blessés qui demandent à être achevés. Certains disaient que l’ennemi était dans la ferme.
Je dis à un voisin le plus proche : « Veux-tu venir ? Que nous essayons de nous sauver. Moi je suis blessé à la tête, ça ne me fait pas mal, et toi à l’épaule, ça ne sera pas difficile ». Nous partons. Quelques coups de fusils et quelques balles nous sifflent aux oreilles. Nous sommes sur la bonne piste et tâchons de gagner le bois traversé à midi.
« Quelle journée chaude que ce 28 août ! » me dit mon camarade,  et je lui dis « et quelle nuit ! »
Nous arrivons dans le bois où les obus ennemis y sont beaucoup tombés et fait des victimes.
Des malheureux appellent au secours les brancardiers « Sauvez-moi ! » mais, hélas nous pouvions à peine tenir debout, impossible de transporter ces camarades.
Je demande à un soldat qui avait la jambe broyée et en pleine connaissance si l’ennemi était avancé jusque-là.
Il me répond que non.
Alors que nous traversons au plus vite le bois, et que nous nous mettons à l’écoute à la lisière, à notre grande surprise nous reconnaissons la voix de Français qui sont postés ici, mais égarés.
A cet instant, un officier se trouvant par là dit : « Les gars, ne restez pas là, l’ennemi avance. » Il n’y a absolument rien pour leur barrer le chemin. Nous nous dirigeons sur Bulson. Etranglé par la soif, avec peine, je découvre un puits, remplis mon bidon et bois plusieurs quarts d’eau.
Tous les blessés ne pouvant pas marcher sont rassemblés dans l’église du pays. Moi-même, légèrement touché, je ne veux rien entendre pour rester là et je suis les camarades.
Le 29 au matin, après avoir marché toute la nuit, nous retrouvons le régiment rassemblé sur un terrain vague à l’entrée d’un petit pays qui se nomme Vendresse.
Ici, le major du régiment me voyant avec la tête toute enveloppée et pleine de sang, m’envoie près de l’église.
Dans une cour, se trouvait une sorte d’infirmerie, mais là, je n’y vois que des blessés légers comme moi. Aucun infirmier et rien pour refaire les pansements.
Au bout de quelques instants d’attente, on vient nous chercher et nous emmener à la Gare où se trouve un petit tramway.
De là nous sommes transportés à Vauzées où nous arrivons à 6 h.
Ici, les pansements sont refaits aux plus nécessiteux.
De bons civils distribuent chocolat, confiture et une tartine de pain que je trouve bon de brouter.
Après avoir vécu des heures, des jours et des nuits (difficiles) il faut le voir pour le croire.
Le 29 au soir, un train de blessés est formé en cette gare de Vauzées où tous les quais sont couverts de blessés.
Deux trains sont successivement formés. Je pars dans le premier qui m’emmène par Châlons et Meaux.
Le 1er septembre 1914 au matin, je suis à la gare de Tours très bien accueilli. Une population très nombreuse nous reçoit et nous acclame par des bravos.
Je suis placé à l’Hôpital- Lycée des jeunes filles n°26 où je suis soigné du 1er au 15 septembre.
J’ai conservé un bon souvenir des bons soins qui me furent donnés. De là, je suis envoyé au dépôt de convalescents de Joué-les-Tours où nous avons la pleine liberté de nous promener.

Maladie et formation de mitrailleur en 1915

Après la convalescence et une courte permission à Thorigny, Henri a rejoint son régiment et le 11 novembre il a repris le train à Ancenis pour Amiens. Il a alterné des périodes dans les tranchées et des semaines de repos. Mais le 21 décembre, malade, il fut évacué vers Creil. La typhoïde fut diagnostiquée.

« Je fus exactement 27 jours sans manger et je ne prenais que du bouillon et un petit peu de lait. Pendant ces 27 jours, ma fièvre se tenait entre 38 et 40 degrés. »

Il a fait sa convalescence à La Roche-surYon, puis aux Herbiers. Il a pu revoir sa famille qui a quitté Thorigny le 23 avril pour s’installer à La-Grande-Forêt. Le 28 avril 1915, il a rejoint Ancenis et est rentré à l’instruction des mitrailleurs. Il a complété cette instruction aux Sables d’Olonne du 12 juillet au 5 août.

« La saison est très bonne pour moi » ; dit-il.

Henri Selin debout 1er à gauche

L’instruction a continué toute l’année à Ancenis. Il a obtenu 7 jours de permission de détente à Noël

Les combats de 1916

Le 28 janvier, il a retrouvé la Champagne et pendant quelques mois il a vécu des périodes dans les tranchées alternant avec des périodes de repos. Il cite dans son journal Cabane, Puits, Mourmelon, avant d’être orienté vers Verdun. Il remarque un changement dans l’attitude des officiers.

« Je me permets d’ajouter un petit mot à ce passage si tragique : avec nous se tenait un officier (un gradé sous-lieutenant) qui avait le commandement du peloton de mitrailleurs de premières lignes. Aussitôt les premiers coups tombés au proche de nos positions, il s’est sauvé dans une sape de 2ème ligne beaucoup plus confortable. Ce sont les habitudes à ce moment-là de nos vaillants officiers qui font la guerre aux fonds de bons abris.
Je me souviendrai toujours de mon passage en Champagne. La guerre à changé de face : le pauvre soldat était malheureux et par contre l’officier ne manquait de rien. Il est vrai d’ajouter que les soldats à ces instants étaient très bons et très braves mais voir ces grandes injustices se produire … En sortant de ce secteur, je pars en permission de sept jours »

Henri est arrivé à Verdun le 12 juin. Il est monté en première ligne le 14 juin.

Encore une blessure

« Le 21 juin est surtout pour moi une journée à la fois mémorable et désastreuse : Ce matin-là je compte, moi y compris 19 hommes à la section. Jusque-là, j’ai eu un tué et un blessé. Au soir après avoir repoussé une attaque ennemie par le tir efficace des mitrailleuses, je ne retrouve que cinq hommes et un caporal valides.
Je suis blessé à 4h30 quelques instants après avoir dormi et je dénombre neuf hommes tués et quatre blessés. Etant blessé et ayant mal, je ne veux pas quitter ce coin là où la guerre bat son plein. Ce n’est qu’à 10h30, sur ordre de l’adjudant venant m’annoncer la relève, que je pars.
Avec moi se trouve l’un de mes chefs de pièce blessé au coté. Nous nous dirigeons vers les quatre cheminées où se trouve le major du régiment ; ici mon premier pansement est fait. Avec une dizaine de blessés nous prenons le ravin des Vignes qui conduit à la route de Bras. En ce lieu, les autos sanitaires doivent nous enlever. Ce ravin est assez long à traverser. Il n’est pas facile car c’est une ligne de position de notre artillerie. L’ennemi bombarde beaucoup et avec des gros, des « maousses » comme l’on dit en ce moment.
De plus, au moment où l’on passe, il y a des gaz que je respire et que je vais ressentir assez longtemps après. Nous arrivons à la fameuse route où les autos se risquent à venir. Je prends la première qui arrive et qui me conduit jusqu’à Verdun au poste de décision où je suis dirigé à la mise au pansement. Une autre auto nous emmène à Wallincourt où je reste quelques instants. Puis je suis conduit à Revigny, c’est le grand triage. J’y suis du 22 au soir au 23 au soir.
Je prends le train sanitaire qui m’emmène à Grenoble où je suis le 25 juin au matin »

Henri Selin est resté à Grenoble jusqu’au 18 août puis il a eu une permission jusqu’au 18 octobre.

Il a reçu la croix de guerre à Ancenis le 20 novembre 1916. De la 25ème compagnie, il passe à la 32ème, mais le cœur n’y est plus :

« J’ai déjà repassé une visite où je suis déclaré bon pour le service, mais dans mon esprit, je n’y suis pas plus que cela. Comme noël et le nouvel an approchent, je compte sur une permission que je demande au caporal-commandant de la compagnie. J’obtiens une permission de détente du 22 au 30 décembre »

1917 : Un mois et demi dans le froid, puis des déplacements


Henri Selin

Le 9 janvier, il a rejoint le front à Verdun.

« Tous les mitrailleurs et gradés mitrailleurs sont réquisitionnés par les compagnies. Par auto, je rejoins Verdun. Il ya une belle épaisseur de neige. Cela m’est dur de supporter le froid par rapport à la température normale de l’ouest. Je suis affecté de nouveau à la 2ème compagnie de mitrailleuses et je monte la rejoindre du 14 au 15 janvier 1917 en lignes. »…

« Toutes les nuits il me faut faire réaliser des emplacements de pièces et creuser une tranchée de liaison avec la 1ère ligne. Le sol est gelé et très difficile à creuser, le froid est de 20 à 22 au-dessous de zéro. J’ai cru avoir le nez et les oreilles gelées sans compter les pieds qui me faisaient un mal impitoyable … D’ailleurs les pieds gelés font affluence en ce moment. »
Son régiment s’est déplacé : Mailly, Sompuis, Troyes…Henri est devenu instructeur mitrailleur du 21 mars au 15 mai. Il a remplacé un sergent comme adjoint au chef de bataillon, puis a retrouvé son bataillon à Montmorency. « Le régiment y fait de nombreuses fêtes, concerts, retraites aux flambeaux, etc. Là, vraiment nous ne pensons plus à la guerre ; cependant ces beaux jours seront vite écourtés. »

Le 27 juin, son régiment s’est posté près de Saint-Quentin. Toute la fin de l’année, il a noté dans son journal les déplacements de son unité d’un poste à l’autre. Il n’a pas oublié les permissions : 7 jours au mois d’août, 10 jours en novembre.

1918 : Encerclé

Le 3 janvier il a passé une formation de commandement de mitrailleurs. «  Le même jour au soir, je prends la ligne des réduits avec une section de mitrailleurs […] Notre mission est de tenir coûte que coûte et nous tenons, il faut voir cela ! Quand le temps est clair, nous tirons sur les avions. Mais à des distances tellement élevées que nous n’avons jamais pu en atteindre un seul ou, du moins, le voir piquer vers le sol. Les cartouches que j’ai tirées se chiffrent à plusieurs milliers. »

Il a eu dix jours de permission le 21 mars :

C’est mieux que les trente jours de lignes que je viens de tirer. Quand l’on part en permission, on oublie vite les misères vécues. Je ne pense qu’à ces dix jours que je vais passer au milieu de ma famille toute contente de revoir celui qu’elle attend de jour en jour. Cette période s’écoule bien vite et voilà qu’il me faut reprendre le chemin du retour au front, chemin pénible et détestable. Pas un seul homme ne reprend ce chemin sans avoir un sérieux coup de cafard ou encore le gosier plein de pinard pour faire passer l’idée du retour qui est toujours présente dans les esprits.

Parfois il arrive que le régiment s’est déplacé et que le permissionnaire doit le chercher plusieurs jours. Enfin il le rejoint mais pas aussi heureux que lorsqu’il l’a quitté. Et l’alternance des combats et du repos a repris jusqu’au 27 mai. Dans le combat, Henri a dû se porter auprès du poste de commandement qui était attaqué :

« Mais l’ennemi n’est pas long à repérer ma position et les mitrailleuses qui le gênent. Voilà qu’il nous envoie des [……….] en plein sur nous, ce qui nous oblige à cesser la partie. Et voici des groupes derrière nous, nous sommes complètement encerclés…
J’ai avec moi le capitaine Goujon qui à réussi à s’échapper d’Ostel avec la compagnie d’attaque ; il me dit de tenir encore quelques instants et que peut-être viendra du renfort et que nous serions délivrés. Mais hélas, point de renfort ! Maintenant nous nous battons à la grenade dans toutes les entrées du P.C. de Rochefort.
Je dis à mes hommes présents autour de moi que la situation est mauvaise. Surgit un groupe d’une dizaine d’hommes débouchant d’une vieille tranchée abandonnée à huit ou dix mètres de nous : que faire ? Lever les bras ou une balle dans la peau ?
Je jette un coup d’œil au capitaine enfoncé dans un ancien abri à munitions (sorte de petit trou). Instinctivement, je lève les bras avec les quelques hommes qui me restent. »

Prisonnier à partir du 27 mai

Tous ont été emmenés à pied avec de rares distributions de nourriture, jusqu’à la gare d’Hirson. Des wagons à bestiaux les ont transportés à Cassel où ils sont arrivés le 3 juin, après deux escales. Le camp n’était pas confortable mais il a dû y supporter une quarantaine avant de demander à travailler dans une ferme.

« La nourriture laisse beaucoup à désirer »

« Beaucoup ne peuvent supporter le régime de la quarantaine et tombent malades. Les rassemblements sont assez fréquents et tous les jours, il faut rester debout trois à quatre heures et rassemblés par quatre. »

« Vient maintenant le temps de la désinfection : tous y passent ainsi que tous les effets. »

« Le 20, nous touchons une couverture. Ce n’est pas du luxe car il fait très froid pour la saison. Souvent il grêle et un grand vent nous gèle. »

Du 18 juillet au 14 octobre 1918, Henri a travaillé chez la veuve Angermüller. Le patron qu’il appelle “le singe” n’était jamais satisfait et leurs relations étaient difficiles. Puis il a retrouvé des camarades de son régiment dans un autre hameau près de Coburg. Il y mangeait mieux.

« On ne mange du pain qu’en petite quantité et encore, il est fait de seigle. Pour la viande, il s’en consommait beaucoup avant la guerre (surtout du cochon) mais elle est très mal préparée. En un mot toute leur cuisine est faite à l’eau. Partout on y rencontre la pomme de terre en premier plat et souvent elle est mal employée. Enfin je me suis fait au régime. Je mange avec bon appétit surtout quand je fais quatre heures et demie de charrue à suivre avec mon cheval Hamms qui a de longues pattes et qui va assez vite ! »

Après l’armistice, la situation des prisonniers s’est améliorée. Après le 1er décembre, ils n’étaient plus obligés de travailler. Henri Selin est rentré à La-Grande-Forêt le 4 avril 1919.

Nous remercions la famille de nous avoir autorisé à publier cet article qui reprend de larges extraits du journal d’Henri SELIN. (en noir) Alors que nous assistons à des commémorations à l’occasion du centenaire de ces évènements, ce journal est un document précieux parce qu’il nous donne un aperçu de la Grande Guerre du début jusqu’à la fin.

Jean-Paul Billaud