Jean RABAUD, un homme d’affaire avisé (1738-1817)

  Lors de notre étude sur l’histoire du château de Bournezeau (cf. Au fil du temps n°13), nous avions mentionné Jean RABAUD comme propriétaire du château vers 1798. Jusqu’à aujourd’hui nous ne savions pas qui était cet homme. L’étude de l’état civil et de divers actes notariés ont permis de mettre à jour son action avant, pendant et après cette période troublée de la Révolution et de la Guerre de Vendée. Elle nous éclaire également sur l’histoire de plusieurs lieux de Bournezeau aujourd’hui disparus.
  Issu d’une famille modeste, Jean RABAUD est né aux Essarts vers 1738. Son père, également prénommé Jean, est charpentier et ne semble pas savoir signer.
  Le 28 novembre 1759, il épouse aux Essarts Anne SEILLER. Le 2 novembre 1760 nait son premier enfant, prénommé également Jean. Plusieurs enfants vont suivre. Il sait lire et écrire.
  Jusqu’en 1778, nous ne savons rien de plus sur lui.
  Le 23 août 1778 est baptisé à Boulogne son fils François. L’acte de baptême indique qu’il demeure à Dompierre-sur-Yon, au château de Beaumanoir. Ce château, bien que sur le territoire de Dompierre, est très proche du bourg de Boulogne. Un acte notarié passé à Dompierre en 1781 mentionne sa profession : fermier au château de Beaumanoir.


Le château de Beaumanoir à Dompierre-sur-Yon

Nous le retrouvons à Bournezeau peu avant 1789 comme fermier des terres de la seigneurie de Bournezeau appartenant à Henriette-Louis-Françoise d’ARGOUGES, femme d’Antoine-Philippe de la TRÉMOUILLE (chef vendéen mort guillotiné à Laval en janvier 1794).
  Qu’est-ce qu’un fermier ? C’est un personnage important des campagnes de l’Ancien Régime : Il occupe le haut de la hiérarchie de la paysannerie. Beaucoup de nobles ayant quitté leur château, et c’est le cas de la famille d’ARGOUGES, le fermier gère à leur place le domaine et reçoit le droit de percevoir la dîme et les autres redevances, moyennant une rente annuelle à leur verser. Le fermier peut morceler les terres pour les sous-louer à des laboureurs ou autres paysans. Cherchant la rentabilité, le fermier peut pressurer de façon excessive ses locataires. C’est pourquoi il n’a pas toujours une bonne réputation auprès de la paysannerie. Les cahiers de doléances de 1789 seront nombreux à dénoncer l’âpreté au gain et la dureté des seigneurs, les déconsidérant du même coup alors qu’ils ignorent probablement les agissements de leurs fermiers. Aussi, un fermier qui a le sens des affaires, a la possibilité de s’enrichir rapidement, ce qui semble être le cas de Jean RABAUD.


Dépendances du château de Bournezeau

     En effet, profitant de la Révolution et de la vente des biens nationaux (biens de l’Eglise et des nobles émigrés vendus au profit de la Nation), il achète opportunément une multitude de terres et de bâtiments :
- 1791 : Des terres appartenant à l’évêché et la maison des sacristains aux Moutiers-sur-le-Lay ; Métairie de la Cour et terres aux Magnils-Reigniers ; Métairie de la Brenaudière à Sainte-Gemme-la-Plaine.
- 1792 : Le prieuré de Saint-Michel et dépendances aux Essarts.
- An 2 (1793/1794) : Nombreuses terres à Chasnais et aux Magnils-Reigniers
- An 3 (1794/1795) : Terres et borderie de Chantemerle à Luçon ; Cabane de la Coulomberie à Puyravault ; Nombreuses terres aux Magnils-Reigniers
- An 4 (1795/1796) : La cure de Bessay ; un pré aux Clouzeaux ; Terres aux Essarts ; Couvent des Cerisiers avec terres et la métairie de la Porte à Fougeré ; Cure et la métairie de Thouaré à Saint-Martin-des-Noyers ; Cure des Moutiers-sur-le-Lay ; La Baillerie à Nieul-le-Dolent.
- An 6 (1797/1798) : Métairie de la Peau de Daim à Sainte-Pexine ; Métairies de Bois-Belle-Femme, La Goulardière et le Bois à Thorigny.


L’ancien couvent des Cerisiers à Fougeré (http://didier85.eklablog.com)

  Il adhère aux idéaux de la Révolution et devient maire des Moutiers-sur-le-Lay entre 1792 et 1794. Pendant la Guerre de Vendée, d’après le témoignage d’un prisonnier à la Rochelle, il échappe à un coup de fusil tiré par un Vendéen nommé MICHENEAU de Saint-Ouen-des-Gâts près des Pineaux. Les troupes vendéennes se servent également dans ses greniers puisque le 12 avril 1793, le chef vendéen de Bournezeau, CAUTEREAU, écrit aux commandants de la Roche-sur-Yon :
  « Il nous est impossible de vous envoyer la quantité de bled que vous nous demandez. Nous vous envoyons 2 boisseaux de bled seigle provenant des greniers du sieur RABAUD, fermier de Bournezeau, n’ayant aucun bled froment. »


Moutiers-sur-Lay : l’église

     Le 28 mars 1794, Jean RABAUD écrit à l’adjudant-général républicain CORTEZ pour lui demander d’intercéder auprès de HUCHÉ, général républicain chargé de diriger les colonnes infernales depuis Luçon, afin que la zone au-delà du Lay soit épargnée de l’incendie, à savoir Bournezeau, les Pineaux, Thorigny, Sainte-Pexine et les Moutiers-sur-le-Lay. Il prétexte le républicanisme de cette région mais oublie de mentionner qu’il est propriétaire de nombreux biens qu’il ne souhaite pas voir brûler. Il ne sera pas écouté.
  Aussi, le 10 avril 1794, ne perdant toujours pas de vue ses affaires, il demande au district de la Roche-sur-Yon, siégeant alors à Beaulieu-sous-la-Roche à cause des colonnes infernales, une indemnité de non-jouissance de plusieurs droits de fiefs dépendant des terres en tant que fermier « de la ci-devant seigneurie de Bois-Belle-Femme [à Thorigny] et de Bournezeau ». Une estimation doit être faite. Nous ignorons s’il obtient satisfaction. En revanche, nous savons qu’il sollicite le gouvernement entre 1810 et 1812 afin de bénéficier du décret impérial de 1808. Ce décret accorde « des primes aux propriétaires qui reconstruiront des maisons ruinées pendant la guerre. » Pour 2 maisons à Bournezeau, 1 à Fougeré et 1  aux Moutiers-sur-le-Lay, une prime de 1750 francs lui est accordée.
  Le 28 septembre 1797, il renouvelle pour 9 ans son bail de fermier de la terre de Bournezeau qui semble avoir été considérée comme un bien national peu de temps. En effet, en 1792, le fondé de pouvoir de Mme d’ARGOUGES a écrit aux autorités républicaines pour indiquer qu’elle n’a pas émigré à cause des événements politiques mais qu’elle a quitté la France lors de l’hiver 1789 pour Nice (ville qui n’était pas alors française) afin d’accompagner sa mère malade partie en cure. Elle a demandé la levée de séquestre placé sur ses biens tout en précisant qu’elle est séparée de biens de son mari depuis 3 ans et qu’elle rejette son ancienne caste, c’est-à-dire la noblesse. L’acte notarié est passé auprès d’un notaire du Gué-de-Velluire entre le représentant de Mme d’ARGOUGES, veuve de la TRÉMOUILLE, qui possède également des terres dans cette commune du marais, et Jean RABAUD. Le prix du fermage est fixé à 1800 livres par an (1 livre = 0,9877 franc au début du XIXème siècle).
  Cet acte est très important pour l’histoire de Bournezeau. Dans la description des terres et des biens faite par le notaire, nous retrouvons les traces visibles du passage le 28 mars 1794 de la Colonne infernale commandée par BARDOU :
   « La terre de Bournezeau (…) consistant aujourd’hui dans la borderie du château, les 2 métairies de la Grosselière dont les bâtiments d’une sont entièrement brûlés et de l’autre la maison principale ainsi que les planchers, la grande grange et (une) partie des autres bâtiments de la borderie du château ; la borderie de la Grolonière [disparue aujourd’hui et située entre les n° 12 et 14 de l’avenue du Moulin] ; une petite maison située audit Bournezeau ; l’emplacement des moulins qui ont été incendiés [situés route des Pineaux, près de la Poupardière]; terres et prés en dépendant ; la petite borderie de Puymaufrais ; l’ancien étang de Bournezeau ; la forêt dudit lieu et celle des Pineaux, desquelles forêts une portion ont été incendiées (…) ; pour l’emplacement de la halle dont (une) partie est brûlée (…) »


Emplacement de l’ancien étang (square du souvenir)

  Deux ans avant la fin du bail, le 6 août 1804, Jean RABAUD achète à Mme d’ARGOUGES « la terre et dépendances » de Bournezeau pour un montant total de 70 008 livres (soit 69 147 francs) payable en 3 fois. Sont exceptés de la vente les 2 moulins, quelques terrains et des redevances qui pourraient être rétablies.
  L’acte a été passé devant un notaire de Fontenay-le-Comte entre Jean RABAUD et un représentant de Mme d’ARGOUGES.
  Les années qui suivent et jusqu’à sa mort en octobre 1817, on le retrouve dans de nombreux actes notariés plus ou moins intéressants pour l’histoire de notre commune. Le 11 janvier 1806 il vend une maison où est enclavé « le ci-devant grand four banal » qui dépendait du château. Cette maison se trouvait à proximité de notre salle des halles actuelle.
  Le 15 août 1812, un particulier de Bournezeau, Louis FOURNIER, vend à Jean RABAUD « le quart de l’emplacement du moulin à vent appelé ci-devant moulin de la Cave et le quart des terres et prés qui en dépendent, le tout situé près de la Maisonnette. »
  Le moulin de la Cave actuel a été reconstruit bien plus tard à un emplacement différent. L’ancien moulin a été détruit lors du passage de la Colonne infernale, en même temps que les deux moulins du château, sur la route des Pineaux.
  Le 16 juillet 1815, il emprunte 7 800 francs au receveur des droits d’enregistrement de Luçon, somme à rembourser avant le 15 juin 1816. Il hypothèque alors la terre, la métairie et la maison de la Diornière (aujourd’hui la Petite-Guyornière des Pineaux) et une borderie. Il déclare n’avoir aucune autre hypothèque en cours.


La Petite-Guyornière aujourd’hui

  Le 27 novembre 1815, nous apprenons qu’il avait emprunté plusieurs années auparavant et « à son grand besoin » 13 721 francs à Jean-Baptiste LEGUEULT, prêtre à Fontenay-le-Comte et ancien curé constitutionnel de la Ferrière. Peut-être que cette somme a permis l’achat de la terre de Bournezeau en 1804 ? Déjà sous le coup d’une hypothèque depuis le 16 juillet 1815, il n’hésite pas à hypothéquer une nouvelle fois la Diornière, le château de Bournezeau et les métairies qui en dépendent et enfin la forêt des Pineaux. Il s’engage à rembourser LEGUEULT le 29 septembre 1816.
  Pour ce faire, il délègue devant notaire le 15 mars 1816, un fondé de pouvoir chargé de représenter ses intérêts à Paris. En effet il attend du gouvernement la somme de 9 228,49 francs suite à la livraison de bois qu’il a effectuée pour le port de Rochefort, bois provenant probablement de ses forêts. Nous ignorons s’il a obtenu satisfaction mais l’ensemble de ses créances apparaît soldé à sa mort, d’autant qu’à partir de septembre 1816, Jean RABAUD multiplie les ventes de biens immobiliers pour une valeur d’environ 6 700 francs.
Un acte nous intéresse plus particulièrement. Il vend le 6 février 1817 à François BAUDRY, charpentier à Bournezeau « ce qui reste de l’emplacement du moulin à eau et ses ruages qui autrefois étaient au bas de la chaussée du ci-devant étang de ce lieu de Bournezeau, ladite chaussée maintenant grande route qui a englobé le terrain où était ledit moulin et pour ainsi dire les ruages en totalité. »
Déjà cité dans le bail de 1797, cet acte confirme l’existence d’un étang dans le bourg de Bournezeau. Il se situait au niveau du square du souvenir. Nous en reparlerons dans un prochain article.
  En 1817 sa santé décline puisqu’il lui arrive de ne pas pouvoir signer et de laisser son fils aîné traiter ses affaires en son nom. Le 16 janvier 1817, il fait rédiger son très long testament dans lequel il partage ses nombreux biens mobiliers et immobiliers en faveur de ses 7 enfants.
  Il décède au château de Bournezeau le 24 octobre 1817 à l’âge de 79 ans. Son homme de confiance, Théodore GUIONNEAU et son gendre Mathurin MORINEAU, signent l’acte de décès. Sa femme, Anne Seiller, était décédée aux Moutiers-sur-le-Lay le 19 février 1801. Acte de décès de Jean RABAUD
  Par son sens des affaires, Jean RABAUD s’est enrichi rapidement à la fin de l’Ancien Régime. Profitant avec opportunité de la Révolution française et de la vente des Biens nationaux, il est devenu l’un des plus importants propriétaires de Bournezeau au début du XIXème siècle, avec des biens se répartissant sur plusieurs communes. L’autre intérêt que renferment ces nombreux actes notariés est la richesse historique de leur contenu qui nous éclaire considérablement sur l’histoire de notre commune pendant la Guerre de Vendée ou encore sur des lieux disparus comme les moulins ou l’ancien étang du bourg… Ce sont pour nous autant de pistes pour de futurs articles!

   Vincent PÉROCHEAU

  Sources :
- Archives Nationales, série W22 (Guerre de Vendée : HUCHÉ et les Colonnes infernales).
- Collection DUGATS-MATIFEUX, médiathèque de Nantes : lettre du 12 avril 1793 de CAUTERAU, commandant vendéen à Bournezeau.
- Archives Départementales de Vendée (ADV) : notaires de Bournezeau, Fontenay-le-Comte et Gué-de-Velluire (début XIXème siècle).
- ADV, série L896 : Délibération du District de la Roche-sur-Yon.
- ADV, série Q : vente des Biens Nationaux.
- ADV, 1M393 : primes accordées aux propriétaires pour la reconstruction de maisons ruinées par la guerre de Vendée.
- Etat civil de Bournezeau, Dompierre-sur-Yon, Boulogne, Moutiers-sur-le-Lay (ADV, site internet).
- Notaire de Dompierre-sur-Yon : année 1781 (ADV, site internet).
- Archives Départementales de Charente-Maritime : Commission Militaire de la Rochelle (L1258-1259-1260).
- Définition du Fermier :
http://www.genealogie.com/v2/genealogie-en-ligne/ancien-metier.asp?id_metier=74