Lors de la Révolution française sont créés les tribunaux criminels
départementaux. Avec Napoléon, ils prennent le nom de “Cours de Justice
Criminelle” le 18 mai 1804. Ces dernières sont à leur tour remplacées par
les “Cours d'Assises” instituées dans chaque département le 20 avril 1810.
C'est à Fontenay-le-Comte que siège le tribunal criminel. Devenue
cour d'assises, cette instance est transférée au nouveau chef-lieu du
département, La Roche-sur-Yon, en 1811. Sa première séance s'y tient le 12
août de cette même année. En 1814, le palais de justice est inauguré. Il
présente une façade monumentale composée de colonnes doriques et d'un
fronton. Sa sobriété illustre l'architecture néo-classique choisie pour la
construction de la ville nouvelle de la Roche-sur-Yon.
Elle juge les crimes de droit commun commis par des majeurs dont
la liste des infractions fluctue en fonction des époques : homicides,
meurtres, assassinats, coups et blessures, faux en écritures,
infanticides, empoisonnement, vols, attentats à la pudeur, abus de
confiance, incendies, etc…
La cour d'assises est composée ainsi :
1) La cour, formée de trois magistrats (un président et deux
assesseurs) et d'un procureur général pouvant déléguer ses pouvoirs à un
avocat général, un substitut ou un procureur du tribunal.
2) Le jury, constitué de douze citoyens notables et électeurs,
tirés au sort à partir d'une liste annuelle établie par le préfet et de 4
jurés suppléants choisis en dehors de cette liste.
Elle siège en session ordinaire une fois par trimestre, et en
session extraordinaire en cas de besoin ou si le nombre d'affaires le
nécessite. Les séances sont publiques ou à huis clos pour les affaires de
mœurs essentiellement. Seuls deux recours sont possibles : le pourvoi en
cassation et la procédure de révision.
Les Archives départementales de Vendée conservent d'une part les
procès-verbaux de séances avec les arrêts de la cour, c'est-à-dire les
sentences rendues à l'encontre des accusés de 1811 à 1939, et d'autre part
des dossiers de procédures de 1814 à 1939. Malheureusement tous les
dossiers de procédures ne sont pas conservés aux Archives. Ils sont
pourtant riches en enseignements : on peut y trouver aussi bien
procès-verbaux d'arrestation de la gendarmerie ou de la police que ceux
constatant le crime, les renseignements sur l'accusé (état-civil,
profession, morphologie, domicile…), l'état des pièces à conviction,
les témoignages, les expertises, les rapports d'enquête, etc…
Tous les accusés devant passer en cour d'assises sont amenés à la
maison de justice. À leur arrivée, ils sont inscrits sur les registres
d'écrou.
Le 20 février 1812 « La cour d'assises du département de la
Vendée a tenu séance à Napoléon au Palais de justice, à laquelle ont
assisté Messieurs David PIERRE, Jacques MASSE, conseiller à la cour
impériale de Poitiers, présidant les assises dudit département de la
Vendée pendant la présente session, Jean Baptiste FAYAU, Louis François
DUPLESSIS, Pierre Martial GUÉRIN et Zacharie TOUZEAU, juges du tribunal de
1ère instance séant audit Napoléon et composant la susdite cour d'assises,
Maître Pierre Jean LESUEUR commis greffier, juré tenant la plume. »
Il s'agit du premier jugement en cours d'assises d'un Bournevaizien. Il se
nomme Jean MORIN. Il est accusé de coups et blessures. Pour cette affaire,
n'ont été conservés que le procès-verbal de séance et l'arrêt de la cour.
Faisons rentrer l'accusé.
Le 15 novembre 1811, le nommé THOMAS, cultivateur demeurant au bourg de Bournezeau, revenait de conduire du blé froment avec ses bœufs et sa charrette au moulin de Lantay sur la commune du Simon, aujourd'hui Sainte-Hermine.
Il était environ quatre heures de l'après-midi. THOMAS était
accompagné de son domestique. Ils suivaient la grande route de
Sainte-Hermine à Bournezeau nouvellement créée. Le domestique conduisait
les bœufs et THOMAS était assis sur l'arrière de sa charrette.
Un individu venant à pied derrière eux arriva à leur hauteur, passa
à côté de la charrette et demanda au domestique : « Vous venez encore
de conduire du blé au coquin de ROBIN ? » Ce dernier était le fermier
du moulin de Lantay.
Le domestique répondit par l'affirmative. L'individu dit alors :
« Eh bien mes sacrés gueux, vous ne lui en conduirez pas
longtemps. » Il passa devant la charrette en jurant et poursuivit son
chemin.
Arrivés entre les villages de la Mènerie et la Borelière,
villages distants d'environ 2 km, le même individu sortit de derrière les
genêts et fougères où il se tenait caché et se rua sur THOMAS qui était
resté assis sur l'arrière de la charrette.
L'individu chercha à porter à la tête de THOMAS des coups du bâton
dont il était armé. Celui-ci se protégea avec ses bras qui en furent
violemment meurtris. Il reçut des coups de bâtons sur le reste du corps et
les genoux. La violence était telle qu'il tomba de la charrette :
L'attaque fut sanglante. Les cris incessants d'alerte lancés par son
domestique avaient obligé l'agresseur à prendre la fuite, sans quoi THOMAS
aurait probablement été assommé.
Malgré ses blessures, il put regagner Bournezeau, sans doute avec
l'aide de son domestique. Dès son arrivée dans le bourg, THOMAS alla
porter plainte auprès du maire de Bournezeau qui était alors Jérôme LOYAU.
La victime connaissait son agresseur et le dénonça à LOYAU. Il s'agissait
de Jean MORIN, ayant pour profession carrayeur, c'est-à-dire ouvrier
extrayant la pierre des carrières. Il demeurait à la Borelière de
Bournezeau.
Dans le “Procès-verbal de séance employé au jugement de Jean
MORIN”, ce dernier avait répondu « se nommer Jean MORIN, autrefois
sabotier, actuellement carrayeur, âgé de 42 ans, natif de Chantonnay,
demeurant à la Borlière commune de Bournezeau. »
Le 20 novembre 1811, alerté par la clameur publique de cette
agression, le brigadier de gendarmerie en résidence à Sainte-Hermine se
transporta chez THOMAS pour prendre sa déposition. Le brigadier le trouva
gisant dans son lit par suite de ses blessures. Un officier de santé
l'avait également examiné. Son procès-verbal, daté du 19 décembre,
indiquait que THOMAS avait été incapable de travailler jusqu'au 13
décembre dernier.
L'absence de dossiers de procédure dans cette affaire ne nous
permet pas de connaître les motivations de Jean MORIN, ni de savoir quand
et comment il a été interpelé. Quels griefs avait-il à l'encontre de
ce nommé ROBIN ? Et pourquoi agressa-t-il si violemment un homme qui
ne semblait pas a priori y être impliqué directement ? Les
interrogatoires nous auraient certainement apporté une réponse claire à
cette question. Nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses.
L'antagonisme a pu naître lors de la guerre de Vendée. Nous sommes
en 1811 : le conflit est encore bien présent dans les esprits. Des
rancœurs ont pu naître entre Républicains et Vendéens. Pendant la guerre
civile de 1793, le maire républicain de Saint-Ouen-des-Gâts était alors un
nommé ROBIN. Était-ce le même individu ? Difficile à dire. Les
Républicains locaux servaient fréquemment de guides aux armées. Dans la
liste des prisonniers de Bournezeau arrêtés par les armées républicaines,
nous trouvons un René MORIN qui avait reconnu avoir monté la garde pour
les Vendéens et qui décéda dans les prisons de la Rochelle. Lors du
mariage de René MORIN à Bournezeau en 1786, son oncle nommé Jean MORIN,
était témoin. Était-ce notre agresseur ? S'il s'agissait de la même
personne, Jean tenait-il ROBIN pour responsable de la mort de René ? Rien
ne permet d'aller plus en avant dans cette hypothèse.
Il est dit dans le jugement que ROBIN était le fermier du moulin de
Lantay. Nous avons vu dans un numéro précédent concernant Jean RABAUD
(voir Au fil du temps n°21) que les fermiers n'avaient pas bonne
réputation auprès de la population rurale parce qu'ils s'étaient âprement
enrichis en pressurant la paysannerie. L'antagonisme aurait pu naître de
cette rivalité sociale.
Dernière hypothèse : Nous avons peut-être affaire à un problème
plus classique : conflit de voisinage, de vente, d'impayé, etc…
Devant le jury réuni le 20 février 1812, Jean MORIN est accusé « d'avoir tendu un guet-apens avec blessures mais qu'il n'en était pas résulté pour ledit THOMAS une incapacité de travail personnel pendant plus de 20 jours. » Ce dernier point va à l'encontre du procès-verbal de l'officier de santé ayant examiné le blessé à une date tardive (le 19 décembre 1811, plus d'un mois après l'agression !) indiquant que celui-ci ne pouvait pas reprendre le travail avant le 14 décembre 1812, soit près d'un mois sans travailler
A l'issue du procès, « La cour condamne ledit Jean MORIN à la peine de 2 années d'emprisonnement et à 50 francs d'amende ; le condamne en outre à rembourser à l'État les frais auxquels la poursuite et la punition du crime auront donné lieu. »