Le progrès technique… spectaculaire à la campagne

  Dans les années 20, les fermes vivaient en autarcie presque totale. Les hommes et femmes âgés portaient encore du linge tissé à la ferme par leurs aïeules, et les sabots de bois claquaient même l’été dans les cours de ferme.

Les grosses miches de pain


    Le blé était la culture noble sur laquelle on pouvait compter quand il était suffisant pour se nourrir. Le grain était alors conduit chez le meunier pour être transformé en farine dans un moulin, soit à vent sur les hauteurs, soit à eau le long d’une rivière. Le cours était détourné sur un canal pour alimenter la turbine.

    Le pain était la base de l’alimentation d’une population essentiellement rurale à l’époque. En principe chaque maison avait son four, mais les villages importants possédaient quelquefois une boulangerie collective où chaque famille, à tour de rôle, venait faire le pain. Il fallait un solide appétit pour mastiquer les bouchées des gros pains qu’on y cuisait, miches de pain au levain, dures et souvent aigres avec le temps. C’est ainsi que le pain se trouvait économisé en fin de semaine.

La saumure dans de grands pots de grès


    Le porc, nourri du babeurre et du lait écrémé des vaches, d’un peu de farine et de choux pour atteindre les 130 kilos à sept ou huit mois, finissait sa carrière dans la saumure dans grands pots de grès. (tué dans le décroissant de la lune pour assurer une bonne saignée et une bonne conservation) Il était gras, très gras, mais les rudes travaux des champs brûlaient toutes les calories et le cholestérol ignoré ne pouvait pas être une hantise.

    Avec les produits de la basse- cour et du jardin, la famille vivait en autosuffisance alimentaire, si l’on excepte l’achat de la morue salée consommée le vendredi pour observer les préceptes religieux qui cadraient bien avec la vie harmonieuse de l’époque. La consommation de poissons était plus importante à proximité des rivières où chaque famille avait au moins une bosselle tendue (piège à poissons) à la belle saison, après l’ouverture de la pêche.


Une bosselle

    Grande dévoreuse du bois d’élagage, la cheminée de ferme, au tirage capricieux selon le vent du jour, chauffait à peine la cuisine, seule pièce conviviale. Premier travail le matin : Il fallait allumer le feu dans la cheminée, quelle que soit la saison, au moins pour assurer la cuisson des aliments. Ce rôle, presque toujours attribué à une femme de la maison, nécessitait un certain doigté. Un bouchon de paille, un fagot de bois de brindilles pour lancer la flamme, et toujours quand il faisait froid, une bûche noueuse en fond de foyer pour pousser le feu le plus tard en milieu de nuit. Ce n’était pas le confort, l’hiver. Souvent la porte d’entrée devait rester entr’ouverte pour une prise d’air, ce qui faisait dire : « On rôtit d’un côté, on gèle de l’autre… »

L’importance du tas de fumier


    L’élevage mêlait vaches, juments de trait et souvent un troupeau de moutons. Chaque espèce consommant les refus de l’autre. Un chaulage de temps à autre, l’épandage de guanos (fientes d’oiseaux en provenance le plus souvent du Chili) et surtout l’apport des fumiers d’étable assuraient une fécondité raisonnable des herbages et des cultures. Il était bien connu, et les personnes de notre époque s’en moqueraient, que l’importance du tas de fumier (dont les purins partaient au ruisseau sans retenue), augurait de la richesse du propriétaire et de la dot de la fille à marier… Les baux interdisaient toute vente de pailles et fourrages, vente de nature à altérer le cycle naturel.

    L’importance de l’instruction à l’école et des connaissances acquises étaient toutes relatives. Savoir lire et écrire était bien suffisant aux yeux de la famille. En revanche, surtout pour les garçons, la robustesse physique et l’aptitude pour les travaux manuels étaient encouragées. Les parents étaient souvent fiers d’avoir un enfant costaud susceptible de les épauler pendant leur vieillesse…

    L’observation de multiples dictons et des phases lunaires guidait les travaux des champs. Des coutumes immuables venant des générations précédentes étaient observées. Les façons culturales des aïeux résistaient à toute modernité. Et le novateur diplômé, tels le technicien et le vétérinaire, était guetté en attendant son échec… !

    Peu de machines. L’énergie était animale. Les chevaux et les bœufs assuraient les gros travaux du sol ainsi que les transports. Très tôt le matin, au lever du jour, les animaux étaient attelés pour bénéficier de la fraîcheur du matin. Dès que la chaleur du jour montait, les bœufs tiraient la langue et n’en pouvaient plus de tirer. Les chevaux se couvraient de sueur qui écumait aux frottements des harnais. Pourtant une autre séance de travail leur était demandée le soir, à la fraîche.


    Quelle débauche musculaire au service de la terre nourricière. Les hommes et les femmes devaient réaliser, chaque jour des tâches pénibles. A soixante ans, ils étaient fatigués et parfois usés par le travail. Nombreux sont ceux dont le corps déformé s’inclinait vers l’avant, vers cette terre qu’ils avaient tant servie. Les femmes n’étaient pas épargnées, fatiguées par les maternités et le travail pénible. Leur démarche était souvent chaloupée. Vêtues de noir selon la tradition, habillées long, le visage buriné par le temps, elles donnaient l’impression de vieillir très vite. Les enfants, ainés de famille, devaient aider pour “élever” les petits frères et sœurs, les filles à la maison et les garçons à la ferme…

Et puis est arrivée l’invention du moteur. La locomobile à vapeur pour le battage a été, généralement, l’investissement collectif du début.

    Cette mécanisation, toujours croissante, allait révolutionner le mode de travail. D’une économie de subsistance, l’agriculture est passée à une économie d’entreprise avec un objectif nouveau de rentabilité, avec toutes ses conséquences pas toujours heureuses. Le tracteur a suivi dans la foulée. Il était d’abord à essence avec une trentaine de chevaux.

    

Maintenant c’est l’inflation de la puissance avec des moteurs diesel dépassant les 100 chevaux.

    Il existe maintenant des machines très perfectionnées qui sont capables, à partir de la couleur verte photographiée par le satellite, de déterminer la dose autorisée, par places, dans chaque parcelle. L’administration fournit les cartes mises à jour, à la demande. Il suffit de rentrer les données dans le GPS et l’épandeur d’engrais régularise automatiquement les quantités en fonction des zones dans la parcelle, sans jamais dépasser les doses…

    L’agriculture raisonnée est obligatoire, ce qui signifie des contraintes dans la conduite des cultures. Un plan de fumure obligatoire doit être respecté. Il oblige à un équilibre dans les apports des éléments fertilisants, compte tenu des apports de fumier et des restitutions des cultures. Il oblige aussi à une analyse de terre dans les parcelles tous les 5 ans, pour vérifier la conformité de la fertilisation apportée, et est comme un élément de preuve pour déceler les éventuels apports intempestifs.

    L’agriculture biologique connaît le même encadrement avec plus de contraintes encore. La conversion des terres se fait sur 2 ou 3 ans pour obtenir la certification AB (bio) de l’agence spécialisée qui assure les contrôles. Le cahier des charges exclut notamment l’usage d’engrais chimiques ainsi que les pesticides de synthèse. La fertilisation se fait essentiellement à partir du fumier et des composts. Aucun désherbant chimique n’est autorisé. Le contrôle des mauvaises herbes dans les cultures doit se faire mécaniquement ou manuellement, ce qui entraîne de la pénibilité dans le travail.

    Les contrôles sont rigoureux. Les règlements de l’agriculture européenne tendent vers la qualité, pour offrir une nourriture saine.

    Joseph Bonnet