Comme c’est souvent le cas, Paul LAURENT n’a pas cherché à montrer
ses écrits à ses proches après la guerre. Ce cahier a été retrouvé en
déménageant la maison de Paul et Élise LAURENT, après le décès de celle-ci
en 1983, et est sorti de l’oubli en 2016. Aussitôt après la guerre, les
historiens cherchaient plutôt à donner une idée générale du conflit et les
écrits des acteurs eux-mêmes, pourtant très nombreux, ont été délaissés.
Dans son cahier, le soldat LAURENT raconte ses déplacements au jour le
jour.
C’est là que Paul Laurent a été incorporé, à Poitiers, dans la 8ème batterie. Il y avait trois batteries dans le groupe de Paul LAURENT, le 3ème groupe du 20ème régiment d’artillerie. Dans une batterie, il y avait 4 obusiers. Chaque pièce nécessitait un attelage de 6 chevaux, un pour la voiture affût, un pour la voiture porte-canon et un pour le caisson. Les 2 premiers groupes ont commencé la guerre en Belgique, avec des canons de 75 mm.
Le 3ème groupe, servant des canons de 155 mm, était affecté à la
défense de Morhange. Le 24 août, il a soutenu le 114ème R.I. qui s’est
emparé de Réméréville et Erbéviller.
Les 3 groupes du 20ème d’artillerie se sont rejoints près de la Fère
Champenoise
Le 2 août 1er jour de la mobilisation le 3.4.5.6. idem
Le 7 août départ de Poitiers
à 19h22 pour l’embarquement.
8 août toute la journée
dans le train.
Le 9 août, débarquement à
Chavigny tout près de Nancy à 12h.
Paul Laurent continue de noter ses déplacements au jour le jour,
dans les environs de Nancy.
Le 24 août position auprès
de la forêt de Champenoux. (Fernand
GROLIER, de Bournezeau qui a disparu ce jour-là à Erbéviller faisait
partie des fantassins du 114ème R.I)
Le 25, même position où il
s’y livre un grand combat. Combat de Réméréville. L’ouverture du feu a eu
lieu le 24 août à 5h du soir. On a tiré 44 coups de canon et ensuite on a
fait un voyage dans la forêt. Pendant ce temps, grande charge à la
baïonnette par notre infanterie à 9h du soir. À 10h, bivouac auprès de la
forêt ; Alors, le 25 août même position. La batterie a tiré cette
journée là 837 cartouches. Après cette rude journée de combat, le soir on
nous apprend 5 000 morts ennemis, tandis que dans la batterie, pas un
seul de blessé.
Le 26 août à 3h réveil,
voyage autour de la forêt et dans le dedans un peu et enfin position sur
le bord de la forêt. 94 tirs repoussent l’ennemi qui compte 5 000
morts de la veille, bivouac près de Réméréville (sous l’eau).
27 août Réveil à 4h,
position au même endroit. À 9h 43 coups de canon tirés. Bivouac sur place.
28 août Réveil à 3h. Même
position. Tiré 303 coups de canon dans la journée.
29 Réveil à 5h. À 18h
position à environ 1 km de Réméréville.
30 Réveil à 4h même
position (grande chaleur)
31. Réveil à 4h même
position 280 coups de canons.
Le 1er sept. Réveil à 3h½.
Ouverture du feu à 3h30. Vers 3h, on quitte pour aller en avant de
Réméréville à 2km environ. À 11h nous avons reçu le baptême du feu. Et là,
l’ennemi a tué 1 homme. Et 4 blessés dans la journée. 237 coups de canon.
Le 2 sept. Réveil à 4h à 1 km en
arrière de Réméréville. On quitte pour aller en avant auprès du cimetière
de Courbesseaux à 4h du soir on quitte pour aller à notre ancienne
position. À 7h½ une attaque nous oblige de quitter notre place dont nous
sommes remplacés par le 5ème d’artillerie.
Le 3 sept. Après avoir marché
toute la nuit bivouac à Laneuville à 7h du matin.
Le 4 sept. Le soir, départ à 9h.
Après avoir marché encore toute la nuit, bivouac à Alain à 3h du matin. À
7 h du soir départ pour l’embarquement à Domgermain. À 1h, départ.
Le 6 sept Débarquement à Troyes vers 3 h du soir. En marche jusqu’à 9h30 et repos jusqu’à minuit ½.
Le 7 sept. Départ à 1h de
St. Mesmin où nous avions fait nos quelques heures de repos.(Ce
jour-là, à la Fère-Champenoise, deux Bournevaisiens ont été
blessés : Narcisse BLANCHARD, charpentier, a reçu un éclat d’obus
dans la cage thoracique et le sous-lieutenant Henri AUGER du 93 R.I. a
perdu l’œil gauche et reçu une autre balle dans la hanche. Militaire
depuis 1902, il a été affecté ensuite à la gestion du dépôt de
convalescents de La Roche sur Yon.)
Le 8 sept. Position à 4h du
soir sur les bouts du camp de Mailly. Grande bataille. Nous avons été
repoussés à plusieurs reprises mais malgré le combat personne de blessé,
simplement chevaux. Notre infanterie beaucoup de mal. 250 coups de canon.
(Ce jour-là, Antonin
BESSON, de Bois-Morin, soldat au 114 R.I. a disparu à La
Fère-Champenoise ainsi que 2 bournevaisiens : Louis BAUDRY du 137
R.I. et Ernest HERBRETEAU du 64 R.I.)
Le 9 sept. Rude journée.
Grande bataille à Gourgançon. Là plusieurs hommes de blessés et deux morts
et un avant-train broyé et 6 chevaux de tués. Nous avons battu en
retraite. Cette journée, pas un seul homme n’aurait dû rester. (Élie
“Léon” BLANCHARD de l’Audjonnière, du 65 R.I. a disparu à la Fère
Champenoise)
Le 10 sept. Réveil à 2h et départ
ensuite à travers les bois de sapins. On avance d’une grande distance.
L’ennemi recule. Après plusieurs quelques kilomètres de marche, la nuit
arrive. Puis on bivouaque.
Le 11 sept. Départ à 4h et marche
toute la journée. À 4h, attaque, position et on tire 4 coups de canon.
Enfin en avant jusqu’à Chalons. Nous nous sommes couchés vers deux heures
du matin sous la pluie et le mauvais temps un peu en arrière de Chalons.
Le 12 sept. Position de
batterie un petit instant. Après départ en avant pour Chalons où nous nous
sommes reposés environ une heure ensuite départ en avant jusqu’à St
Hilaire-au-Temple où nous avons bivouaqué vers 11h sous la pluie qui
tombait à verse. Nous avons couché dans les maisons. (Ce
jour-là, Arthur GAUTIER, de la Mènerie est décédé à Luchon des suites de
ses blessures dans les marais de St Gond, près de la Fère-Champenoise)
Le 13 septembre Départ à 6h
du matin pour aller un peu plus loin. De passage au camp de Chalons où
nous avons couché en plein air par un vent très froid.
Le 14 septembre Dès la
pointe du jour, il a commencé à tomber de l’eau jusque vers midi. Nous
avons passé à Mourmelon-le-Grand. Vers 11h nous avons fait halte à
Baconnes. Mais après ½h de repos, nous avons parti et cela était temps car
les marmites tombaient. Le soir nous avons couché dans un petit bois de
sapins aux environs de Baconnes.
Le 15 septembre Même
position que le 14, et malgré les 174 coups de canon tirés, les boches
sont restés en le même endroit et le soir, vers minuit nous avons été
attaqués et on tire 58 coups de canon sous la pluie glaciale.
Le 16 septembre Même
position. On a commencé à tirer à 9 h du soir. 120 coups tirés.
Recommencé à marquer le 19 octobre 1915
Depuis que je suis de retour de permission, nous avons été en
position à Rivière pendant 3 semaines où nous avons fait une attaque qui
n’a malheureusement pas réussi. Enfin, nous avons été relevés par le 42ème
d’artillerie volante. Nous sommes partis le soir avec l’échelon qui était
à Beaumetz-lés-Loges. Nous avons voyagé toute la nuit et le lendemain
matin, nous avons cantonné à Cocour. Nous devions y passer deux jours mais
dans la nuit vers 11h, il y a eu alerte et nous avons encore voyagé le
restant de la nuit.
Nous sommes arrivés aux Brebis à 6 h du matin. Là, c’est le
cantonnement de l’échelon. La batterie a pris position le soir devant la
crête avant Loos qui avait été reconquise par les anglais le 23 septembre.
C’est encore la position que nous occupons à l’heure actuelle. Depuis que
nous y sommes, les boches ont attaqué. Mais malgré tout leur bombardement
et leur gaz asphyxiant ils n’ont pu prendre aucune tranchée. Le soir, il y
avait hors de combat plus de 9 000 boches et je vous assure que
depuis, tous les jours ils envoient quelque chose comme marmites.
(François BILLAUD de la Grousselière, 137 R.I., et René MAROT du
Pré-Baudet, 114 R.I., sont morts à Wailly les 25 et 26 septembre)
Le 13 octobre, les anglais ont attaqué mais n’ont réussi à aucun
résultat. Mais enfin depuis, comme le temps était brouillé, cela était
très calme. Comme les repos sont commencés, la batterie est partie au
repos le 19 octobre au matin pour 3 jours, jusqu’au 21 octobre. Elle
retournera le 21 au soir.
Le cahier s’arrête là. Quand il l’a commencé, Paul LAURENT
n’imaginait pas que la guerre allait durer plus d’un an. Les canons de 155
mm de 1914, très rapides, mais de faible portée ont été remplacés
progressivement par un autre modèle. En 1916, le régiment est chargé se
défendre la côte 304 (près de Verdun). En 1917, ses batteries s’illustrent
à Craonne. Il participe à la poursuite de l’ennemi en 1918.
Paul LAURENT a été démobilisé le 26 août 1919.