Le Cahier de guerre de Paul LAURENT

 Comme c’est souvent le cas, Paul LAURENT n’a pas cherché à montrer ses écrits à ses proches après la guerre. Ce cahier a été retrouvé en déménageant la maison de Paul et Élise LAURENT, après le décès de celle-ci en 1983, et est sorti de l’oubli en 2016. Aussitôt après la guerre, les historiens cherchaient plutôt à donner une idée générale du conflit et les écrits des acteurs eux-mêmes, pourtant très nombreux, ont été délaissés. Dans son cahier, le soldat LAURENT raconte ses déplacements au jour le jour.


Paul Laurent le jour de son mariage en 1921

Au 20ème régiment d’artillerie

 C’est là que Paul Laurent a été incorporé, à Poitiers, dans la 8ème batterie. Il y avait trois batteries dans le groupe de Paul LAURENT, le 3ème groupe du 20ème régiment d’artillerie. Dans une batterie, il y avait 4 obusiers. Chaque pièce nécessitait un attelage de 6 chevaux, un pour la voiture affût, un pour la voiture porte-canon et un pour le caisson. Les 2 premiers groupes ont commencé la guerre en Belgique, avec des canons de 75 mm.


 Le 3ème groupe, servant des canons de 155 mm, était affecté à la défense de Morhange. Le 24 août, il a soutenu le 114ème R.I. qui s’est emparé de Réméréville et Erbéviller. 


 Les 3 groupes du 20ème d’artillerie se sont rejoints près de la Fère Champenoise

 
Un canon de 155 mm

 

Première page du cahier :
«  Cahier de la guerre de 1914 à 1915 Appartenant à LAURENT Paul
servant à la 8ème Batterie au 20ème d’artillerie Poitiers Vienne Fait en Belgique le 12 février 1915 »

La bataille des frontières

 Le 2 août 1er jour de la mobilisation le 3.4.5.6. idem


 Le 7 août départ de Poitiers à 19h22 pour l’embarquement. 


 8 août toute la journée dans le train. 


 Le 9 août, débarquement à Chavigny tout près de Nancy à 12h.


 Paul Laurent continue de noter ses déplacements au jour le jour, dans les environs de Nancy.
 Le 24 août position auprès de la forêt de Champenoux. (Fernand GROLIER, de Bournezeau qui a disparu ce jour-là à Erbéviller faisait partie des fantassins du 114ème R.I)


 Le 25, même position où il s’y livre un grand combat. Combat de Réméréville. L’ouverture du feu a eu lieu le 24 août à 5h du soir. On a tiré 44 coups de canon et ensuite on a fait un voyage dans la forêt. Pendant ce temps, grande charge à la baïonnette par notre infanterie à 9h du soir. À 10h, bivouac auprès de la forêt ; Alors, le 25 août même position. La batterie a tiré cette journée là 837 cartouches. Après cette rude journée de combat, le soir on nous apprend 5 000 morts ennemis, tandis que dans la batterie, pas un seul de blessé. 


 Le 26 août à 3h réveil, voyage autour de la forêt et dans le dedans un peu et enfin position sur le bord de la forêt. 94 tirs repoussent l’ennemi qui compte 5 000 morts de la veille, bivouac près de Réméréville (sous l’eau).


 27 août Réveil à 4h, position au même endroit. À 9h 43 coups de canon tirés. Bivouac sur place.


  28 août Réveil à 3h. Même position. Tiré 303 coups de canon dans la journée.


 29 Réveil à 5h. À 18h position à environ 1 km de Réméréville.


 30 Réveil à 4h même position (grande chaleur)


 31. Réveil à 4h même position 280 coups de canons.


 Le 1er sept. Réveil à 3h½. Ouverture du feu à 3h30. Vers 3h, on quitte pour aller en avant de Réméréville à 2km environ. À 11h nous avons reçu le baptême du feu. Et là, l’ennemi a tué 1 homme. Et 4 blessés dans la journée. 237 coups de canon.


Le parcours de Paul LAURENT aux environs de Nancy en août 1914



Le 2 sept. Réveil à 4h à 1 km en arrière de Réméréville. On quitte pour aller en avant auprès du cimetière de Courbesseaux à 4h du soir on quitte pour aller à notre ancienne position. À 7h½ une attaque nous oblige de quitter notre place dont nous sommes remplacés par le 5ème d’artillerie.


Le 3 sept. Après avoir marché toute la nuit bivouac à Laneuville à 7h du matin.


Le 4 sept. Le soir, départ à 9h. Après avoir marché encore toute la nuit, bivouac à Alain à 3h du matin. À 7 h du soir départ pour l’embarquement à Domgermain. À 1h, départ.


Trajets dans la Marne

La bataille de la Marne

 Le 6 sept Débarquement à Troyes vers 3 h du soir. En marche jusqu’à 9h30 et repos jusqu’à minuit ½.


 Le 7 sept. Départ à 1h de St. Mesmin où nous avions fait nos quelques heures de repos.(Ce jour-là, à la Fère-Champenoise, deux Bournevaisiens ont été blessés : Narcisse BLANCHARD, charpentier, a reçu un éclat d’obus dans la cage thoracique et le sous-lieutenant Henri AUGER du 93 R.I. a perdu l’œil gauche et reçu une autre balle dans la hanche. Militaire depuis 1902, il a été affecté ensuite à la gestion du dépôt de convalescents de La Roche sur Yon.)


 Le 8 sept. Position à 4h du soir sur les bouts du camp de Mailly. Grande bataille. Nous avons été repoussés à plusieurs reprises mais malgré le combat personne de blessé, simplement chevaux. Notre infanterie beaucoup de mal. 250 coups de canon. (Ce jour-là, Antonin BESSON, de Bois-Morin, soldat au 114 R.I. a disparu à La Fère-Champenoise ainsi que 2 bournevaisiens : Louis BAUDRY du 137 R.I. et Ernest HERBRETEAU du 64 R.I.)


 Le 9 sept. Rude journée. Grande bataille à Gourgançon. Là plusieurs hommes de blessés et deux morts et un avant-train broyé et 6 chevaux de tués. Nous avons battu  en retraite. Cette journée, pas un seul homme n’aurait dû rester. (Élie “Léon” BLANCHARD de l’Audjonnière, du 65 R.I. a disparu à la Fère Champenoise)


Le 10 sept. Réveil à 2h et départ ensuite à travers les bois de sapins. On avance d’une grande distance. L’ennemi recule. Après plusieurs quelques kilomètres de marche, la nuit arrive. Puis on bivouaque.


Le 11 sept. Départ à 4h et marche toute la journée. À 4h, attaque, position et on tire 4 coups de canon. Enfin en avant jusqu’à Chalons. Nous nous sommes couchés vers deux heures du matin sous la pluie et le mauvais temps un peu en arrière de Chalons.

 Le 12 sept. Position de batterie un petit instant. Après départ en avant pour Chalons où nous nous sommes reposés environ une heure ensuite départ en avant jusqu’à St Hilaire-au-Temple où nous avons bivouaqué vers 11h sous la pluie qui tombait à verse. Nous avons couché dans les maisons. (Ce jour-là, Arthur GAUTIER, de la Mènerie est décédé à Luchon des suites de ses blessures dans les marais de St Gond, près de la Fère-Champenoise)


 Le 13 septembre Départ à 6h du matin pour aller un peu plus loin. De passage au camp de Chalons où nous avons couché en plein air par un vent très froid.


 Le 14 septembre Dès la pointe du jour, il a commencé à tomber de l’eau jusque vers midi. Nous avons passé à Mourmelon-le-Grand. Vers 11h nous avons fait halte à Baconnes. Mais après ½h de repos, nous avons parti et cela était temps car les marmites tombaient. Le soir nous avons couché dans un petit bois de sapins aux environs de Baconnes.


 Le 15 septembre Même position que le 14, et malgré les 174 coups de canon tirés, les boches sont restés en le même endroit et le soir, vers minuit nous avons été attaqués et on tire 58 coups de canon sous la pluie glaciale.


 Le 16 septembre Même position. On a commencé à tirer à 9 h du soir. 120 coups tirés.

Bataille des Flandres


Recommencé à marquer le 19 octobre 1915


Les déplacements du 20ème d'atillerie en septembre 1915


 Depuis que je suis de retour de permission, nous avons été en position à Rivière pendant 3 semaines où nous avons fait une attaque qui n’a malheureusement pas réussi. Enfin, nous avons été relevés par le 42ème d’artillerie volante. Nous sommes partis le soir avec l’échelon qui était à Beaumetz-lés-Loges. Nous avons voyagé toute la nuit et le lendemain matin, nous avons cantonné à Cocour. Nous devions y passer deux jours mais dans la nuit vers 11h, il y a eu alerte et nous avons encore voyagé le restant de la nuit.
 Nous sommes arrivés aux Brebis à 6 h du matin. Là, c’est le cantonnement de l’échelon. La batterie a pris position le soir devant la crête avant Loos qui avait été reconquise par les anglais le 23 septembre. C’est encore la position que nous occupons à l’heure actuelle. Depuis que nous y sommes, les boches ont attaqué. Mais malgré tout leur bombardement et leur gaz asphyxiant ils n’ont pu prendre aucune tranchée. Le soir, il y avait hors de combat plus de 9 000 boches et je vous assure que depuis, tous les jours ils envoient quelque chose comme marmites. (François BILLAUD de la Grousselière, 137 R.I., et René MAROT du Pré-Baudet, 114 R.I., sont morts à Wailly les 25 et 26 septembre)


 Le 13 octobre, les anglais ont attaqué mais n’ont réussi à aucun résultat. Mais enfin depuis, comme le temps était brouillé, cela était très calme. Comme les repos sont commencés, la batterie est partie au repos le 19 octobre au matin pour 3 jours, jusqu’au 21 octobre. Elle retournera le 21 au soir.

  Le cahier s’arrête là. Quand il l’a commencé, Paul LAURENT n’imaginait pas que la guerre allait durer plus d’un an. Les canons de 155 mm de 1914, très rapides, mais de faible portée ont été remplacés progressivement par un autre modèle. En 1916, le régiment est chargé se défendre la côte 304 (près de Verdun). En 1917, ses batteries s’illustrent à Craonne. Il participe à la poursuite de l’ennemi en 1918.
Paul LAURENT a été démobilisé le 26 août 1919.

Jean-Paul BILLAUD

Sources : Cahier de guerre de Paul LAURENT
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Pages-d-Histoire-Artillerie/20eme-regiments-artillerie-sujet_451_1.htmbr> http://www.chtimiste.com/regiments/artillerie1-62.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Obusier_de_155_mm_CTR_modèle_1904
Archives départementales de la Vendée : fiches matricules militaires