Le capitaine Henry Esgonnière

  Sept lettres sont en possession de la famille Esgonnière concernant le décès d’Henry, le 25 septembre 1915. Le nouveau chef de corps, Arnaudeau, seul officier supérieur du régiment qui soit revenu de cette offensive en Champagne en a écrit deux. Raymond De Fontaines, un ami de la famille originaire du château de Bourneau en a adressé deux à un de ses oncles. Gangeat, un homme d’une autre compagnie du 293  a transmis 2 lettres. La lettre du lieutenant Germain montre qu’il a participé à la même offensive.

  1ère lettre

Aux armées le 29 septembre 1915,             Monsieur,

C’est avec une profonde émotion que je viens m’acquitter près de vous du douloureux devoir d’un chef de corps.

Le plus douloureux des devoirs en effet quand il consiste à se faire messager de pénible nouvelle.

Votre fils, le capitaine Esgonnière du Thibeuf est tombé glorieusement atteint à l’attaque de la position allemande du projecteur le 25 septembre.

Il avait brillamment enlevé sa compagnie pour la lancer à l’assaut.

Il était superbe. Un peu avant d’aborder la première ligne de tranchées ennemies, il tomba. Et toujours superbe devant la mort comme devant le danger il tomba en criant « en avant, en avant ». Et refusant les soins de ceux de ses hommes qui s’offraient à le panser et à le transporter, donnant ainsi à tous le plus bel exemple d’abnégation devant la nécessité de vaincre, il resta étendu.

J’ai appris sa chute après que grâce à son exemple et à celui de tous ceux de nos chers camarades tombés comme lui dans cette journée. Nous eûmes enlevé et occupé l’objectif assigné à  nos efforts.

J’avais le ferme espoir de pouvoir le faire relever dès la nuit, car environné que nous étions d’un cercle de feu de mitrailleuses et d’artillerie, nous ne pouvions accomplir ce devoir de jour mais, hélas la nuit fut trop dure, trop pénible pour nous, pour que nous puissions songer à nos pauvres blessés tombés entre la position et nos lignes.

Une lutte concentrique et rapprochée à coups de grenades, l’évacuation de nombreux blessés, qui encombraient à chaque minute les tranchées labourées que nous occupions absorbaient tous nos efforts.

Et, hélas après un combat acharné de 24 heures au corps à corps, à la grenade enveloppée, nous fumes obligés de nous retirer dans nos lignes au matin du 26.

Ces circonstances vous feront comprendre quelle impérieuse et mémorable nécessité, nous empêcha de relever tous nos morts et hélas encore même tous nos blessés.

J’ai proposé votre fils pour une citation à l’ordre de l’armée avec la mention suivante : ?  a brillamment entrainé sa compagnie à l’assaut au cours duquel il a été mortellement atteint. Est tombé en continuant de crier ?en avant?. N’a pas voulu se laisser panser.

Puisse ce dernier hommage d’un chef qui avait pu apprécier depuis plus d’un an, toute la valeur morale de votre fils, atténué votre légitime douleur.

Vous saurez mieux que moi, Monsieur, apprendre à Madame Esgonnière le coup qui va la frapper et trouver les mots qui conviennent.

Il est tombé en brave pour son Dieu, pour sa Patrie, haut les cœurs.

Pour vous et pour sa famille, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mon profond chagrin et de mes respectueuses condoléances.               

Arnaudeau Chef de Bataillon Commandant le 293e

Je ne puis donner à cette lettre un caractère officiel, mais vous préparant à ce qui sera malheureusement, une certitude.

Dans le même ordre d’idées, je vous serais obligé de vouloir bien ne pas faire état officiel de cette lettre. Des ordres nous ont été donnés pour ne pas écrire aux familles avant qu’elles n’aient été avisées officiellement.



2ème lettre

le 1er octobre 1915         Mon cher Mr Esgonnière

C’est avec un grand chagrin que je vous annonce la mort de votre fils, le capitaine Esgonnière, tombé au champ d’honneur, le 25 septembre. Atteint d’une balle à la cuisse, il tomba sur le bord de la tranchée boche, refusa de se faire panser et continua à diriger et à encourager ses hommes. Il revint en arrière par ses propres moyens et fut trouvé mort dans la soirée ! L’endroit où il est tombé n’est pas calme depuis longtemps, mais néanmoins les brancardiers ont commencé leur sinistre besogne et j’ai l’assurance que son corps sera bientôt ramené à l’arrière.

Étant donné la proximité des deux Régiments, je veillerai à ce qu’il lui soit donné la sépulture qui lui convient, et vous en informerai. Le retard de cette lettre n’a d’ailleurs pour cause que l’incertitude dans laquelle j’étais au sujet du sort du capitaine. Les dernières confirmations me sont parvenues ce matin par des hommes de sa compagnie.

Veuillez croire, mon cher Monsieur Esgonnière à toute la part que je prends à votre ardeur tempérée par la mort héroïque de votre fils, et agréer l’expression de mes sentiments respectueux.          

 Gangeat



3ème lettre

le 3 octobre 1915            Bien cher Monsieur,

Vous savez sans doute que le 25 au matin notre compagnie faisait partie de la grande offensive nous étions tous heureux. La veille notre cher capitaine nous avait tous réunis pour donner ses dernières instructions, et lorsque le 25 au matin à 9h15 nous nous sommes mis en route pour gagner nos emplacements, c’est le cœur gai et tranquille que nous envisagions l’avenir. Je tiens à vous dire que deux jours avant l’attaque notre cher capitaine avait reçu le Pain des Forts, maintenant en haut du ciel il prie et veille encore sur nous.

Pendant tout le bombardement il n’a marchandé ni sa peine, ni sa vie. Toujours le premier, il était un exemple frappant du parfait soldat. Que de fois l’ai-je admiré dans sa simplicité de commandement, sachant toujours arranger les choses, comme il disait si bien.

Croyez, cher Monsieur, que c’est une grande perte pour nous, mais aussi quels exemples il nous laisse. Avant l’assaut notre artillerie a bombardé pendant 3 heures sans arrêt : c’était une pluie de fer et de feu s’abattant sur les tranchées allemandes. A chaque instant, j’apercevais le capitaine à ma gauche et par petits signes nous nous comprenions.

Quelques minutes après, sur un simple geste toute la compagnie était sur le parapet, et je puis vous dire que pour moi soldat c’est un des moments de ma carrière où j’ai été le plus touché. Cet entrain nous le devons encore à notre capitaine.

Nos hommes marchaient d’un pas sûr et tranquille, nous avancions sans heurt. Je suivais par la vue le capitaine en avant de 2ème Section, lorsqu’à un moment je ne l’ai plus vu.

J’ai été prévenu, aussitôt par des hommes que le capitaine était blessé mortellement. Aux hommes qui voulaient le soigner, il leur a montré l’objectif à atteindre et a eu la force de crier encore : ?en avant?. Un instant après j’apprenais que le sous-lieutenant Gautron était tombé lui aussi en cours de route.

Toute la compagnie s’est ruée sur les tranchées allemandes et dans l’espace d’un quart d’heure, nous avions gagné les 3 tranchées but de notre offensive.

J’ai organisé aussitôt les positions conquises avec les autres compagnies du régiment. Une heure après, j’étais moi-même blessé, mais assez légèrement. J’ai quitté la position qu’à 6 heures du soir pour me diriger sur le poste de secours, pour me faire soigner. En cours de route j’ai rencontré un de mes camarades qui savait le capitaine blessé et avait fait ramener son corps dans la tranchée française. Hélas, le capitaine avait cessé de vivre.

Bien cher Monsieur, je me fais l’interprète de toute la 22ème Compagnie et ses camarades pour vous adresser nos plus sincères condoléances. Puisse l’accomplissement du devoir être un soulagement pour nous, et encore une fois l’exemple de notre capitaine vivra parmi nous.

Germain, lieutenant 293ème

En  traitement à l’hôpital Meurice  15, rue Mont Thabor Paris. Nous étions près de Ville-sur-Tourbe


4ème lettre

3 octobre 1915         Mon cher oncle et ma chère tante

Ce matin au réveil, je fus prévenu que les brancardiers profitant de la nuit très obscure avaient parcouru le champ de bataille et ramené le corps de Henry Esgonnière. Je me levai de suite et me rendis à l’emplacement où l’on avait placé le cadavre.

Admirablement conservé et pas du tout mutilé, comme l’affirmaient de fausses indications. Une blessure (éclat d’obus) au sommet de la cuisse, près du bas-ventre, saignante. Une seconde non saignante près de la clavicule et une balle dans le cou.

Ses traits sont reposés et il n’a pas dû souffrir. J’ai cru devoir prendre plusieurs photos du corps étendu sur le brancard.

De suite, je me suis fait inscrire comme témoin du décès et devant un officier d’administration, j’ai pris sur le cadavre tout ce que j’ai pu trouver, les poches semblaient retournées. Je tremblais à la pensée que les Allemands l’aient dépouillé, mais il n’en était rien, voici la liste officielle de ce que j’ai trouvé le tout sera mis dans un sac plombé ainsi que le revolver et autres objets sans doute pris par son ordonnance, la famille recevra en outre sa cantine et le harnachement de son cheval.

1 plaque d’identité __ 1 sifflet __1 agrafe croix de guerre _ 1 sachet avec chapelet __1 chaine (à son cor) et 3 médailles religieuses__1 ordre de mobilisation __ 1 carnet__1 chevalière en or __ 1 alliance en or __1 bague aluminium _ 1 paire de gants__ 1 lime_1 trousseau clefs __ 1 stylographe __ 1 bloc note__1 crayon et protège pointe __ 1 briquet __1 pipe __ 1 bracelet montre _ 1 couteau __1 portefeuille contenant huit cent vingt francs en billet__1 porte-monnaie contenant médailles et 8 frs 90.

J’assisterai à l’inhumation qu’aura lieu cet après-midi et j’aurai soin de repérer très exactement la tombe qui se trouvera surement tout près de la maisonnette garde barrière 42 gare la plus proche Vienne-la ville et Vienne-le château, double voie ferrée Reims à Ste Ménéhould, je crois.

Si mon père n’avait pas été à Guingamp, je me serais certainement adressé à lui dans une aussi triste circonstance et en son absence, j’ai cru devoir vous écrire à vous oncle et tante voisins et amis de la famille Esgonnière de Thibeuf.

Bien douloureusement à vous.                      

     R. de Fontaines

Raymond De Fontaines né au château de Bourneau, ami de la famille ESGONNIERE


5ème lettre

 le 4 octobre 1915

Le chef du Bataillon Arnaudeau Commandant provisoire le 293e Régiment d’Infanterie

A Monsieur Esgonnière du Thibeuf  A Bournezeau, Vendée

Monsieur, Ainsi que je vous le laissais espérer dans ma douloureuse lettre nous avons eu la consolation de pouvoir relever l’avant dernière nuit, le corps de votre fils.

Autant que le docteur a pu s’en rendre compte il a succombé aux suites d’une hémorragie consécutive à une blessure dans l’aine, l’artère ayant été atteint.

Nous l’avons enseveli hier soir dans notre petit cimetière de circonstance en un point qu’il sera facile de retrouver et dont l’indication plus exacte, avec plan, vous sera donnée.

Nous l’avons mis dans une bière aussi solide que nous avons pu le faire, une plaque de mine clouée sur le couvercle.

En présence du Général Commandant la 302e Brigade et des officiers du Régiment, entourés d’une délégation des gradés et hommes survivants de sa compagnie, j’ai pu lui adresser mon dernier adieu.

Nul plus que moi, Monsieur, n’avait pu apprécier, toutes les belles qualités de votre fils.

Nous le regrettons tous. Le général m’a tout spécialement prié de vous exprimer la haute estime dans laquelle il tenait le capitaine Esgonnière en même temps que la profonde part qu’il prenait à votre douleur.

Je forme le vœu que de savoir votre fils enseveli en chrétien. Notre aumônier ayant servi  son ministère sera une atténuation à vos peines.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression renouvelée de ma profonde et respectueuse sympathie.

Arnaudeau



6ème lettre

le 4 octobre 1915        Monsieur Esgonnière,

Hier soir, près du lieu où il tomba héroïquement, la sépulture a été donnée à votre fils regretté.

On a pu, ainsi d’ailleurs que doit vous le dire le commandant Arnaudeau, lui faire un cercueil de chêne. Il vous sera donc possible, après la guerre, et si je suis encore de ce monde, je me ferai un devoir de vous y accompagner, de le retrouver.

Son corps repose près de la barrière 42, à côté de la voie ferrée de Ste Ménéhould à Challevanches.

Veuillez croire, mon cher Monsieur Esgonière, à l’expression de mes sentiments respectueux           

        Gangeat


 

   7ème lettre

  Mon cher oncle, ma chère tante,

Le Commandant du 293e remplaçant le colonel blessé, a du écrire la si triste nouvelle à M. Esgonnière du Thibeuf.

Hélas, après les derniers renseignements pris, le corps mutilé du malheureux Henry est resté aux mains des allemands, comme ceux ou presque tous les officiers du 293e.

Bien tristement à vous.                                R J de Fontaines

Le cheval alezan d’Henry que vous connaissez a été pris par le sous-lieutenant Roussin.


 
 

Lettres recueillies auprès de Renée Esgonnière, nièce d’Henry Esgonnière.
Le lieu du combat

  Le capitaine Esgonnière est donc mort de plusieurs blessures, dont une grave par un éclat d’obus à la cuisse. Tous parlent de sa bravoure. Il a été atteint dès le premier assaut. L’armée française avait fait le projet d’une grande attaque en Champagne, à mi-chemin entre Reims et Verdun, pour percer le front allemand. Toutes les unités ont attaqué simultanément. Le bataillon du Capitaine Esgonnière était tout à droite du dispositif. Son objectif a été atteint rapidement, mais, sur sa gauche, les français ont été pris dans des barbelés et tous ont dû revenir au point de départ, avec de lourdes pertes. Le corps du défunt n’a été ramené qu’une semaine plus tard.

le 293ème R.I. attaque le 25 septembre 1915

Dès le 23 septembre au soir, le service météorologique signale que le temps semble devoir changer. De fait, dans la nuit du 24 au 25, il pleut abondamment. Néanmoins, l'attaque n'est pas décommandée.

Le parcours du sergent Feuchot 1914/1915
http://cpascans.canalblog.com/archives/2008/09/01/11950458.html


  Notre victoire était précaire. On le comprit bientôt; car plusieurs hommes du régiment voisin, égarés parmi nous, nous apprirent que leur attaque avait complètement échoué. Les fils de fer s'étant trouvés intacts, leurs vagues d'assaut avaient été mitraillées à bout portant : le bataillon était anéanti sans aucun résultat. Ainsi notre avance nous perdrait sans doute; car nous avions des ennemis à notre gauche et presque derrière nous. De fait leurs mitrailleuses balayaient continuellement la plaine, pour empêcher notre ravitaillement. A moins donc de mourir de faim, tôt ou tard il faudrait céder; mais on espérait bien qu'une nouvelle attaque améliorerait la position.

Journal de Joseph RAYMOND

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293eRI Secteur du Projecteur - Ville sur Tourbe -
Vous retrouvrez le livre complet à: http://www.lib.byu.edu/~rdh/wwi/memoir/Raymond/froc1.htm

  La première tranchée est abordée, enlevée. Chaque compagnie continue son attaque sur l’objectif qui lui a été fixé. Les nettoyeurs accomplissent leur mission. Peu de prisonniers sont faits. Trois tranchées sont ainsi enlevées.

Le 293e exécute alors la délicate manœuvre prescrite de « face à droite » au Bois de Ville (1500-2000 hectares, nid de batteries de tous calibres et d’abris de réserves).

Mais le régiment de gauche n’ayant pu se maintenir sur leurs objectifs, le 293e se trouve, dès 9h 35 dans une situation difficile. Sa droite est à 500 mètres des parallèles du départ, sans possibilité de flanquement par suite de la nature du terrain couvert d’arbustes. Sa gauche est en l’air, fichant perpendiculairement dans les lignes boches. Il reçoit des feux d’arrière venant des tranchées ennemies du Calvaire.

Une première tentative de contre-attaque par le feu et le choc est esquissé. Cette contreattaque de la force d’un Bataillon, est rejetée par nos feux dans le Bois de Ville d’où elle cherchait à déboucher. Peu après, cette tentative est renouvelée, mais par attaque à la grenade de tous nos barrages sur le front et les ailes. Durant toute la journée et la nuit du 25 au 26, l’ennemi soutient cette attaque fractionnée.

Le 26 au matin, il n’y a plus qu’un officier debout au 5e Bataillon. Le ravitaillement en minutions a été difficilement réalisé pendant la nuit. Il n’y a plus de grenades, peu de cartouches. Un effort général ennemi se déclenche vers 7 heures. Notre artillerie ne répond que très faiblement à notre demande de barrage.

Notre aile droite, sans officier, cède. Notre gauche est attaquée par derrière. Les mitrailleuses qui appuyaient ces ailes, tirent jusqu'à ce que les Boches arrivent sur elles. Les servants se dégagent à la baïonnette ou au revolver. Successivement le repli s’effectue par échelon de tir et sous le feu des mitrailleuses ennemies non détruites par la préparation et qui, du secteur de gauche et du Bois de Ville n’ont cessé de battre, depuis la veille, tout le terrain s’étendant entre la position conquise et notre ligne de départ.

Le 293e a perdu 960 hommes, tués (86, dont 8 officiers) blessés et disparus. Le Lieutenant-Colonel de Gouvello ayant été blessé au moment ou il se portait en avant avec la 4e vague, le Chef de Bataillon Arnaudeau avait pris le commandement.

Les jours suivants, le 293e est réorganisé au moyen de renforts successifs. Le Chef de Bataillon Arnaudeau promu Lieutenant-Colonel, en conserve le commandement.

   Historique du 293ème RI
http://www.memorial-poiresurvie.fr/Regiments/Historique%20293eme%20regiment%20infanterie.pdf