Bournezeau et la Guerre de Vendée - 1ère partie -

  De toutes les crises que Bournezeau a traversées dans son histoire, la plus marquante est sans aucun doute la guerre de Vendée commencée en 1793. Elle est née des bouleversements radicaux engendrés par la Révolution française de 1789. Ils sont à la fois politiques avec un nouveau découpage administratif de la France en décembre 1789, puis la fin de la Royauté le 21 septembre 1792, et à la fois religieux avec la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790.

  Menacée par les monarchies européennes, la république française naissante est obligée d’effectuer des levées en masse des hommes aptes à défendre la nation. Parallèlement, elle poursuit sa politique de répression contre les prêtres proches de la population rurale. Le roi Louis XVI qui est devenu un symbole contre-révolutionnaire après sa tentative de fuite, est guillotiné le 21 janvier 1793.

  Cette politique autoritaire est menée par la bourgeoisie qui en profite pour s’accaparer le pouvoir et s’enrichir par l’achat de biens nationaux appartenant aux nobles ou au clergé, au détriment de la paysannerie qui n’y gagne rien, si ce n’est l’obligation d’aller se battre pour un gouvernement qui s’acharne contre leurs prêtres. Aussi, dès mars 1793, c’est le soulèvement des opposants à la Révolution, bientôt appelés Royalistes ou Vendéens, contre les Révolutionnaires ou Patriotes. Cette guerre civile qui va durer près de sept années englobe un vaste territoire. Il couvre une grande partie de quatre départements de l’ouest : la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire, les Deux-Sèvres et la Vendée. On le connaît aujourd’hui sous le nom de Vendée Militaire. La Loire délimite le nord et le Lay le sud avec notamment les communes de Bournezeau, Saint-Vincent-Fort-du-Lay et Puymaufrais.

  Dans une période qui débute en 1789 et qui s’achève en 1800 avec l’arrivée progressive de Napoléon BONAPARTE au pouvoir, nous tenterons de dépeindre l’évolution politique et religieuse de Bournezeau pendant cette décennie d’incertitudes et de violence. Quel est l’impact de la guerre civile sur la vie même de ses habitants confrontés à une situation inédite ? Comment a été perçu le changement de régime ? Que s’est-il passé dans la commune pendant la guerre sur le plan militaire et humain ? Quelles destructions ont subi les habitants de la commune ?


La Vendée militaire (extrait du site internet vendée-chouannerie.com)

  Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur des documents émanant des autorités républicaines retrouvés aux archives nationales et aux archives départementales de Vendée, de Loire-Atlantique et de Charente-Maritime. À l’opposé, la collection DUGAST-MATIFEUX, déposée à la médiathèque de Nantes, regroupe les échanges qu’entretenaient les chefs vendéens de notre région au début du conflit (mars à août 1793). Elle nous permettra de plonger au cœur du conflit dans notre zone d’étude.

  Les débuts de la Révolution française à Bournezeau (1789-1792)

   

  Le 5 mai 1789 Louis XVI ouvre à Versailles les Etats-Généraux afin de résoudre la grave crise financière qui touche le royaume depuis plusieurs années. C’est le 1er acte dans le déroulement de la Révolution. Le serment du jeu de Paumes du 20 juin est le prélude de la mise en place d’une Assemblée nationale constituante. Le 14 juillet, la Bastille tombe, puis, le 26 août, les privilèges sont abolis. Ces premières mesures semblent bien accueillies par la grande majorité des Français, comme probablement l’ensemble de la population de Bournezeau.

  Ils espèrent une amélioration de leurs conditions  de vie avec une égalité devant la loi et l’impôt dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle.

Le redécoupage administratif


Serment du jeu de Paume à Versailles le 20 juin 1789

  Le 22 décembre 1789, l’Assemblée nationale constituante décrète la fin des anciennes provinces et la mise en place d’un nouveau découpage administratif du royaume. Le département de la Vendée est officiellement créé en janvier 1790 avec les 82 autres départements français.

  Chaque département est divisé en districts. La Vendée en compte 6 : la Roche-sur-Yon, Fontenay-le-Comte, les Sables-d’Olonne, Challans, Montaigu et la Châtaigneraie. Le district est constitué de plusieurs cantons, eux-mêmes composés de plusieurs communes. Ces dernières sont le plus souvent calquées sur le territoire de la paroisse, entité qui a désormais perdu toute signification administrative.


Carte de la Vendée publiée entre 1790 et 1793 avec le district de la Roche-sur-Yon en foncé
(Archives départementales de Vendée)

  Bournezeau est désignée chef-lieu de canton. Les communes de Sainte-Pexine, Saint-Ouen-des-Gâts, les Pineaux, Saint-Vincent-Fors-du-Lay, Puymaufrais, Saint-Hilaire-le-Vouhis et bien sûr Bournezeau le constituent. Ce canton est intégré au district de la Roche-sur-Yon avec les cantons d'Aizenay, Belleville-sur-Vie, les Essarts, la Chaize-le-Vicomte, Mareuil-sur-Lay, le Poiré-sur-Vie, le Tablier et la Roche-sur-Yon.

  Un maire et des conseillers sont élus à la tête de chaque commune au suffrage censitaire (par ceux qui paient l’impôt) : ils forment le conseil général de la commune. Est élu également, un procureur de la commune, chargé de requérir l'exécution des lois. Pour être électeur il faut être un “citoyen actif”, c'est-à-dire payer un impôt au moins équivalent à 3 journées de travail. Pour être élu, l'impôt doit être au moins égal à 10 journées de travail. Dans une commune comme Bournezeau, cela ne concerne qu'une faible minorité masculine : les notables de l'Ancien régime sont les mêmes que les notables du nouveau régime. Malheureusement l'état de nos sources ne nous permet pas de dresser une liste des premiers électeurs. Il faut signaler que les papiers de la municipalité de Bournezeau ont été brûlés probablement dès le début de l'insurrection vendéenne.

  Les premières élections municipales ont lieu en février 1790. Le maire, élu pour 2 ans, est installé après une prestation de serment. La loi du 19 avril de la même année stipule que lorsque les maires et les officiers municipaux sont en fonction, ils doivent porter comme marque distinctive par-dessus leur habit une écharpe aux 3 couleurs de la nation, bleu, blanc, rouge, attachée d'un nœud et ornée d'une frange couleur d'or pour le maire, blanche pour les officiers municipaux, et violette pour le procureur.


Le maire (ou président d’administration municipale) sous la Révolution française
(estampe  publiée entre 1796 et 1799, extraite du site internet Bnf.fr)
 

  Le premier maire de Bournezeau semble être Joachim ALLAIRE, maire de 1790 à 1791. Il est né aux Essarts en 1760. Il est reçu médecin en 1784. Son nom n'apparait dans aucun acte officiel. Le seul document qui le mentionne est son propre témoignage sur la situation de Bournezeau entre 1790 et 1793 après avoir fui la commune et s'être établi en tant que médecin aux hospices militaires de la Rochelle et de l'île d'Aix de 1793 à 1798. Comme beaucoup de notables de la commune, il est Républicain. Nous y reviendrons car ce témoignage unique est essentiel pour la perception du climat qui y règne avant le soulèvement.

  Le second maire est en revanche clairement identifié puisqu'il signe lui-même les actes d'état civil à partir de décembre 1792 en tant qu'officier public. Il s'agit d'Alexandre JUCHAULT maire de 1792 à 1793 et républicain convaincu. A ce titre, il préside le 29 juillet 1793, en pleine insurrection vendéenne, une Assemblée primaire du canton à Sainte-Pexine, « le chef-lieu, Bournezeau, étant occupé par les insurgés ». Seule la commune de Sainte-Pexine, située de l'autre côté du Lay, est restée républicaine durant la guerre civile.

  Avant la Révolution il était procureur et notaire, domicilié à la Bregeonnière. Le mariage de son fils à Saint-Hilaire-le-Vouhis le 26 octobre 1809 nous apprend qu'Alexandre JUCHAULT « est mort victime de la guerre qui a eu lieu dans ces contrées dans le courant du mois de mai 1794 et que son corps fut inhumé le 29 dudit mois de mai dans le cimetière de Boulogne ».

  Il a probablement été tué par les Vendéens dans des circonstances qui ne nous sont pas connues.

  Le premier procureur de la commune se nomme Louis François JAUD. Il était notaire à Sainte-Hermine avant la Révolution. Il décède à Bournezeau le 24 novembre 1791 à l’âge d’environ 40 ans, 12 jours après le décès de sa femme.

  A la même époque se met en place une nouvelle organisation judiciaire.

  Les nouvelles fonctions judiciaires

  En août 1790, la Révolution française met en place une justice de proximité au niveau de chaque canton et accessible gratuitement : c'est la justice de paix. Le poste de juge de paix est occupé principalement par des personnes dotées d'une grande autorité morale. Leur mission est de « concilier à l’amiable les différents qui s’élèvent parmi leurs concitoyens ».

     À Bournezeau, le premier à occuper ce poste est Jean-Pierre LOYAU. Il était avant 1789 procureur fiscal et avocat au parlement. Comme beaucoup de notables de la commune, il ne rejette pas la Révolution. Mais peu à peu il s'en éloigne probablement à cause des excès de cette dernière. Le témoignage de Joachim ALLAIRE est à charge contre lui. Aussi, prenant fait et cause pour les insurgés vendéens, il sera fait prisonnier et condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de la Rochelle en octobre 1793. Nous en reparlerons.



Le juge de paix sous la Révolution française. Il est indiqué : « Ces fonctionnaires tâchent de concilier, à l’amiable, les différents qui s’élèvent parmi leurs concitoyens ; il n’est point dans la magistrature de fonctions plus intéressantes »
(estampe publiée entre 1796 et 1799, extraite du site internet Bnf.fr)

Le juge de paix doit être assisté d’un assesseur. Il n’est pas connu ou n’est pas désigné à Bournezeau dans les années 1790-1796. On retrouve en l’an 6 du calendrier républicain (de septembre 1797 à septembre 1798) deux assesseurs : Louis TRENIT et Louis Simon ESGONNIÈRE.

  Il est également assisté d’un greffier qui se nomme en 1791 Philippe Auguste PAYNEAU. Il était procureur de la paroisse en 1781. Ses convictions sont républicaines a priori. Après 1796, son frère, Alexis PAYNEAU, occupera la fonction de secrétaire de l’administration municipale, puis de percepteur.

  Toujours en 1791, Pierre REMAUD est identifié comme commis-greffier auprès du juge de paix. A partir de 1796, il sera lui-même juge de paix à Bournezeau. Ses convictions sont républicaines puisqu’il se réfugie aux Moutiers-sur-le-Lay pendant le conflit.

  L’échelon au-dessus de la justice de paix est le tribunal de district, créé également en août 1790. Il y a donc un tribunal pour chaque district avec un président à sa tête. Pour celui de la Roche-sur-Yon, est élu président Philippe René ESGONNIÈRE. Avant la Révolution, il était avocat au parlement et avait la charge de sénéchal d’abord à la Grève (paroisse près de Saint-Martin-des-Noyers), puis à Bournezeau. Son rôle était important puisqu’il représentait le seigneur au sein de la paroisse avec des fonctions administratives et judiciaires. Plutôt favorable aux idées de la Révolution, il est pendant tout le conflit à Fontenay-le-Comte où se trouve l’administration départementale. Il deviendra maire de Bournezeau, conseiller général et député dans la première moitié du XIXème siècle.

 

Portrait dePhilippe René ESGONNIÈRE
(1755-1838), extrait du site internet
de l’Assemblée Nationale

Cette nouvelle organisation administrative et judiciaire est assumée par les mêmes notables qui assumaient les fonctions politiques avant 1789. Ils restent pour la plupart partisans de la Révolution. La population de Bournezeau n’a sans doute pas perçu de changement radical au tout début de la Révolution. Les mesures que cette dernière va prendre à l’encontre du clergé vont déclencher les premières fissures au sein de la société française.

 

      La Constitution civile du clergé et la vente des biens nationaux

La situation religieuse en 1789

  Le clergé relevant du diocèse de Luçon est divisé depuis 1673 en plusieurs conférences. L’institution est renouvelée en 1767 avec 27 conférences dans le diocèse. Leur but est de réunir tout le clergé (curés, vicaires, religieux) d’un même secteur géographique afin de discuter des affaires religieuses et avoir une conduite uniforme dans leurs actions pastorales. L’évêque nomme un directeur et un secrétaire pour chaque conférence. Bournezeau fait partie de la 11ème conférence avec les paroisses des Pineaux, Fougeré, la Ferrière, Château-Fromage, Thorigny, Saint-Jean et Saint-Nicolas de la Chaize et enfin la Limouzinière.

  A la veille de la Révolution, la paroisse de Bournezeau est dirigée par le curé Jean-François LAINÉ depuis juin 1784. Il est né à la Lande-d’Airou dans la Manche en 1744. Il est secondé par un vicaire, Joseph THIRÉ, nommé à Bournezeau en avril 1788 et natif de Sainte-Hermine en 1761. Son frère ainé, Guillaume THIRÉ, est à la même époque vicaire à Saint-Florent-des-Bois.



L’église de Bournezeau telle qu’elle était en 1789 (dessin réalisé en 1876 par V. Claire, architecte du département de la Vendée)

La vente des biens nationaux

  Dans le tourbillon réformateur de la Révolution, l’église catholique n’est pas oubliée. Par décret du 2 novembre 1789, les biens de l’Eglise sont saisis et vendus afin de résoudre la crise financière qui est à l’origine de la Révolution. La mesure s’étend sur les biens des nobles qui commencent à fuir le pays. La bourgeoisie en profite pour acquérir les biens fonciers de ces émigrés. La vente des biens nationaux aboutit donc à un transfert massif des propriétés de la noblesse vers la bourgeoisie.

La Constitution civile du clergé

  Le 12 juillet 1790, l’Assemblée nationale constituante adopte la Constitution civile du clergé pour à son tour contrôler l’Eglise au détriment de la Papauté.

  Le clergé régulier (abbayes, monastères, couvents…) n’a plus de raison d’être et doit disparaître. Les prêtres (c’est-à-dire le clergé séculier comme les vicaires et les curés) sont soumis alors à un serment qu’ils doivent prêter devant les autorités républicaines : ils deviennent des fonctionnaires élus par des électeurs laïcs et rétribués par l’Etat. Cette mesure radicale choque une partie du clergé mais également une partie de la population attachée aux valeurs religieuses traditionnelles, d’autant plus que le pape Pie VI condamne la Constitution le 10 mars 1791, suivi de l’évêque de Luçon Marie-Charles-Isidore DE MERCY. Que vont choisir nos 2 prêtres face à ce choix délicat ?

 
Le pape PIE VI                                                 L’évêque de Luçon, Mgr DE MERCY

          

   Nous savons comment est vécue cette situation à Bournezeau par nos 2 prêtres grâce au témoignage de Joachim ALLAIRE. En septembre 1793, il rédige une longue lettre à la Commission militaire de la Rochelle sur les événements qui se sont passés dans sa commune entre 1790 et sa fuite, et pour dénoncer Jean-Pierre LOYAU. Voici ce qu’il écrit au tout début de sa lettre :

« (…) Depuis deux ans environ le dit Jean-Pierre LOYAU de Bournezeau m’a paru par ses menées sourdes tachées d’aristocratie. Il était avant la Révolution procureur fiscal. Ainsi cela lui avait facilité les moyens de frayer avec les maisons des ci-devants [les nobles].

(…) Joseph THIRÉ, vicaire à Bournezeau, étant chez LOYAU avant que le serment des ecclésiastiques fut décrété et lorsqu’il nous fut envoyé du district, nous nous empressâmes de le faire publier au cours du prône de la messe ;  la semaine après la publication, le curé et le vicaire, ce dissident, eurent à se conformer à la loi. Ils vont faire leur soumission au greffe et le dimanche suivant ils prêtent le serment sans restriction devant la municipalité en corps et la Garde nationale. On dresse le procès-verbal et le fit signer aux deux assermentés ci-dessus nommés. A la fin des Pâques 1791, le dit Joseph THIRÉ se rétracte de sa prestation précédente. »

  Le serment à la Constitution civile du clergé a ainsi donné lieu à une manifestation patriotique devant les autorités républicaines de Bournezeau à une date non précisée, peut-être en janvier ou février 1791. Jean-François LAINÉ prête le serment sans aucune restriction. Quant à Joseph THIRÉ, il le prête puis se rétracte peu après suivant les recommandations du pape et de son évêque.

  Sur un total de 11 ecclésiastiques appartenant à la 11ème conférence, 8  prêtent le serment. De tout le département, c’est cette conférence qui compte le plus de jureurs, probablement sous l’influence du curé de Fougeré, RODRIGUE, originaire de Nantes, qui est élu le 2 mai 1791 évêque constitutionnel de la Vendée.

  Le Constitution civile du clergé marque donc un tournant important dans le déroulement de la Révolution car pour beaucoup d’historiens cette mesure est la cause principale du soulèvement vendéen. Quelle est la conséquence de la rétractation de Joseph THIRÉ et des autres réfractaires nombreux dans le département ?  Que se passe-t-il à Bournezeau de cette fin d’année 1791 jusqu’à l’insurrection de 1793 ?

          

     Vincent PÉROCHEAU

Sources : Archives départementales de Vendée (ADV) : Registres paroissiaux et Etat civil de Bournezeau.
        Archives départementales de Charente-Maritime : Commission militaire (côte L.1258-1259-1260).
        Charles-Louis CHASSIN, Préparation à la guerre de Vendée, La Vendée Patriote, Tome 2.
        Jean ARTARIT, François-Ambroise Rodrigue, évêque constitutionnel de la Vendée, 1996.
        Y. CHAILLÉ, Livre d’or du clergé vendéen, 1964.
        Dictionnaire des médecins, chirurgiens et pharmaciens français, 1802 (http://books.google.com).
        Articles www. wikipedia.org : Révolution française / Constitution civile du clergé / Municipalité