Bournezeau et la Guerre de Vendée - 2ème partie -

  La vente des biens nationaux et la constitution civile du clergé sont à l’origine de la rupture qui commence à gagner la société française en 1791. Le curé est un référent incontournable dans le monde rural d’Ancien Régime : il est le guide spirituel mais également politique puisqu’il est l’intermédiaire entre le pouvoir royal et ses paroissiens souvent illettrés. Aussi, le choix qui lui est imposé en 1791 détermine l’orientation de la population pour ou contre la Révolution. S’ajoute le choix politique des notables bourgeois qui, au même titre que le curé, peuvent avoir une influence sur la population. Une majorité de ces notables embrasse le parti républicain parce que le nouveau régime leur permet d’obtenir le pouvoir politique et judiciaire que tenait la noblesse. Les opinions étant divergentes, naissent un peu partout dans la région les premières dissensions qui aboutiront au soulèvement vendéen de mars 1793.

  La situation dans le département

 
  L'Assemblée constituante, consciente du danger, voire du schisme qu'implique le serment, commence par prendre des mesures conciliantes vis-à-vis des réfractaires. Tout d'abord, elle leur concède une pension minimale alors que seuls les assermentés y avaient droit. Le 23 janvier 1791, les prêtres réfractaires sont autorisés à rester dans leur paroisse jusqu`à leur remplacement. Le 7 mai, l'Assemblée vote le décret de “tolérance” qui autorise les curés à célébrer la messe dans les églises constitutionnelles. La seule condition à respecter : ne pas critiquer la Constitution, ni le clergé assermenté.
  En dépit des mesures conciliantes, la situation religieuse en Vendée est alarmante. Des incidents se produisent entre autorités civiles, prêtres et populations. Devant cette effervescence, l'Assemblée constituante décide d'envoyer deux députés dans l’ouest, GALLOIS et GENSONNÉ, pour examiner la situation exacte. Ils arrivent à Fontenay-le-Comte le 29 juillet l79l, puis aux Sables-d'Olonne le 5 août. Ils y sont rejoints par le général DUMOURIEZ qui doit parcourir la Vendée pendant le mois d’août 1791.
   
 

  
Le général DUMOURIEZ par Rouillard
   (site internet Wikipedia)
  
Prêtre assermenté (estampe  publiée en 1790, extraite du site internet Bnf.fr)
 

Les deux députés constatent qu'à la Mothe-Achard, à la Roche-Sur-Yon et à Chantonnay, la messe des jureurs rassemble peu de monde sinon les autorités constituées et quelques patriotes.
  Quant à DUMOURIEZ, il condamne une politique qui rendrait les mesures prises par l'Assemblée inutiles et qui risquerait de la discréditer aux yeux de certains patriotes.
  Il note dans son rapport : « Le 15 [août], passé à la Mothe-Achard, où il y a un curé constitutionnel. Il y avait tout au plus 30 hommes à la grand'messe. Arrivé à la Roche-sur-Yon, district faible, timide, peu instruit ; plus de 100 nobles sont là qui les menacent et leur font peur; 6 hommes de garde nationale ; les maires des campagnes fort bornés et intimidés. Une seule brigade de maréchaussée dans tout le district, composée d'un brigadier haï dans la ville, et de trois ivrognes qui ne savent ni lire ni écrire : le maire, bon citoyen et assez instruit. Paroisses  du Poiré, Boulogne, Les Clouzeaux, détestables ; paroisses de Bournezeau, Les Essarts, très bonnes, ayant une garde nationale nombreuse, mais pas un fusil (…) En tout ce district est dangereux par la supériorité prodigieuse du parti des contre-révolutionnaires. Il faut surtout faire perfectionner les routes et avoir les communications, parce que la Roche-sur-Yon, étant un point de centre du département, s'éclairera et prendra de la force par le commerce et le passage des étrangers. Il faut aussi éloigner les prêtres réfractaires des paroisses où ils étaient curés et vicaires ; la noblesse, seule, ne pourrait rien, mais, appuyée des prêtres, elle est très dangereuse (…) » Il ajoute : «Il est évident que le peuple déteste les jureurs. Les réfractaires seuls jouissent de sa confiance. La loi accorde aux catholiques le droit de posséder un lieu de culte. Mais si on concède aux gens d'une commune l'église ou la chapelle qu'ils réclament, on s'engage sur une voie dangereuse. Toutes les communes exigeront leur lieu culturel. La liberté octroyée aux insermentés sera la fin des assermentés.»
  DUMOURIEZ, paradoxalement, sent qu'une politique intransigeante ne peut en rien régler les tensions religieuses : « Si on continue à y mettre de la rigueur, on portera les paysans au désespoir.»
  Selon ce rapport, Bournezeau est une “bonne commune”, c’est-à-dire qu’elle a adopté les décisions des autorités républicaines. Qu’en est-il véritablement ?
 

  Les premières tensions à Bournezeau

 
  Il est vrai que, dans un premier temps, tout semble se passer parfaitement bien à Bournezeau. Une municipalité a été élue. Une garde nationale s’est mise en place dès 1790. Il s’agit d’une milice citoyenne chargée du maintien de l’ordre, bien entendu à la solde de la bourgeoisie locale. Celles de Bournezeau et des Essarts seraient cependant sans fusils à en croire DUMOURIEZ.
   
 

  
La garde nationale de Paris par LESUEUR   (vers 1791, musée Carnavalet de Paris)

  La garde nationale de Bournezeau s’est regroupée en confédération avec 16 autres gardes nationales du bocage : Ardelay, Les-Herbiers, Mouchamps, Le Boupère, Monsireigne, Saint-Fulgent, Saint-André-Goule-d’Oie, Les-Essarts, Sainte-Florence, Chantonnay, Rochetrejoux, Saint-Prouant, Puybelliard, Saint-Germain-le-Prinçay, Saint-Hilaire-le-Vouhis et Saint-Hermand (ancienne paroisse près de Sainte-Hermine).
  Mais la situation se détériore petit à petit. Le témoignage de Joachim ALLAIRE est révélateur des dissensions qui apparaissent entre les autorités républicaines locales et une partie de la population. Rappelons qu’il est maire de Bournezeau entre 1790 et 1791. Comme la plupart des notables de Bournezeau, il est favorable à la Révolution. Laissons-lui la parole :
  « A la fin des Pâques 1791, ledit Joseph THIRÉ se rétracte de sa prestation précédente.
  Aussitôt je m’aperçus qu’il faisait des rassemblements chez LOYAU et enfin que, de suite, il se forme 2 partis, celui qui est resté fidèle à la loi et l’autre aristocrate.
  Lorsque nous nous [en] aperçûmes, je le répète en ma qualité de maire, je fis assembler le Conseil général de la commune et après avoir donné chacun notre opinion, et les représentations de notre curé constitutionnel, nous délibérâmes que LOYAU mettrait hors de chez lui ce fanatique de prêtre pour mettre fin aux rassemblements.
  Il y consentit mais il ne fut pas loin, ce fut à la Diornière près de Thorigné, ¾ de lieu de Bournezeau, maison cachée dans les bois où demeurent ledit BODIN dit la Saiverie, D’ESPINASSEAU, neveu, chef de brigands, grand ami de LOYAU, la sœur D’ESPINASSEAU dite JOLIVETIÈRE.
   
 

  
La Diornière, aujourd’hui la Petite-Guyornière,
située sur la commune des Pineaux, entre la forêt de Saint-Jacques et la forêt des Pineaux.

  
Ceux de Bournezeau qui y allaient jusqu’à 3 fois par semaine [sont] : Jean Pierre LOYAU et sa femme ; MICHAUD, chef des brigands, ci-devant administrateur de directoire ; son frère, prêtre réfractaire qui s’était retiré chez sa mère où nous fûmes obligés de le faire chasser (…), leur mère, leur tante ESGONNIÈRE, vieille fille, la GUIGNARD, vieille fille fanatisée, les 2 filles THOMAZEAU, la NIVEAU, femme de serrurier et armurier, la MENARDEAU, LEGROS, père et sa femme, Eulalie PAYNEAU, MAILLOT, sa femme et son fils, les 2 ci-devant religieuses des Cerisiers [Couvent des Cerisiers à Fougeré] nommées PAYNEAU, sœur de la ci-dessus dénommée [et] la BLANCHARD, retirées dans une maison qu’elles tiennent de ferme de Pierre REMAUD, ci-devant procureur de la commune, qui donne sa démission peu de temps avant l’insurrection de la Vendée.
  A l’égard de LOYAU d’après l’exposé de l’autre part, aussitôt il se retira de la majeure partie de nos assemblées civiques. Le 14 juillet 1792 il estime mieux aller à la chasse que de s’assembler à midi précise afin de prêter les serments civiques de la liberté.
    


Serment civique d’un village (Estampe de 1791, extraite du site internet Bnf.fr)


   Il n’allait plus dans l’église. A la messe, il faisait semblant d’y aller par le moyen de la tribune que la municipalité a été obligée de faire boucher, en ce qu’elle communiquait dans le château et toute espèce de privilèges étant abolis. Cela n’empêcha pas LOYAU d’y venir jusqu’à la clôture, mais depuis il n’a pas paru aux offices religieuses, ce qui est de conséquence dans les campagnes, montre les personnes qui ont de l’influence sur le peuple tel que lui. »
  Comment ce climat de division a-t-il été perçu par les Bournevaiziens ? Il est fort probable qu’une partie des habitants ait suivi les orientations de leur “maître” car beaucoup sont soumis économiquement aux notables qui sont le plus souvent propriétaires de maisons, de fermes et de terres. Les partisans du curé assermenté qui continue à célébrer la messe avec le soutien des autorités locales comme ALLAIRE, finissent par s’opposer aux partisans de THIRÉ, vicaire réfractaire. Son dernier acte officiel en tant que vicaire de Bournezeau est un mariage célébré le 21 juin 1791. Il est probable qu’il célèbre ensuite le culte en cachette à la Diornière.
    


Dernière signature de THIRÉ sur les registres paroissiaux de Bournezeau
en date du 21 juin 1791 lors de la célébration d’un mariage

  ALLAIRE cite plusieurs personnes, notamment des femmes, qui soutiennent THIRÉ. Indirectement il sous-entend qu’une partie de la population a délaissé les fêtes patriotiques et les offices religieux à la suite du retrait de LOYAU, qualifié d’homme d’influence. Mais pour l’heure, aucune violence n’est à déplorer. L’attitude de LOYAU est donc claire : refus d’assister à la messe célébrée par un assermenté, refus de participer à la fête du 14 juillet, symbole important de la Révolution et participation à contrecœur à la plantation de l’arbre de la liberté comme l’indique amèrement ALLAIRE :
   « Cependant je dirais qu’à la plantation de l’arbre de la liberté, il apprit que nous avions invité plusieurs communes et nous nous disposions de donner un repas. Nous l’invitâmes de s’inscrire. Il n’osa pas si refuser mais il fut le seul de sa bande qui y vint. »
    


Plantation d’un arbre de la liberté par LESUEUR
(vers 1790-1791, musée Carnavalet de Paris)

  La fuite à Varennes du roi Louis XVI le 20 juin 1791 ne semble pas avoir suscité la moindre réaction de la part de la population de Bournezeau. En revanche, elle doit ressentir dans son quotidien une inquiétude grandissante face aux divisions politico-religieuses qui naissent dans la commune et bien au-delà. Dans un premier temps tolérée, très vite la présence de prêtres réfractaires dérange les autorités républicaines parce qu’ils entravent le bon fonctionnement de l’administration par leur influence plus ou moins importante sur la population. Partant de ce constat, le curé LAINÉ est favorable au départ de son vicaire, remplacé brièvement par Gabriel GALLET, vicaire assermenté, en juin 1792.
   


Signature de LAINÉ

  Quant à la solution trouvée par l’Assemblée constituante, devenue législative en octobre 1791, elle est radicale : la soumission aux lois ou l’exil.
 
  1792 : la chasse aux prêtres réfractaires
  Cette nouvelle Assemblée décide de mener une politique religieuse plus rigoureuse pour mettre un terme au désordre suscité par la Constitution civile du clergé. Les mesures se succèdent.
  Le 29 novembre 1791, le gouvernement impose à tous les prêtres réfractaires le serment sous les huit jours faute de quoi tout traitement leur sera supprimé. Ce décret n'est pas appliqué, Louis XVI y mettant son véto.
   


Verrière illustrant la traque d’un prêtre réfractaire par les Républicains (église de Beaupréau)

  Le 9 mars 1792, le directoire de la Vendée somme 33 prêtres jugés dangereux de se rendre à Fontenay-le-Comte pour y être en liberté surveillée. Parmi eux, THOMAS, curé de Venansault, et ROBIN, vicaire des Essarts et curé-suppléant de la Boissière-des-Landes. Le 24 février 1792 ce prêtre est accusé par le maire de la Boissière «d'attentats commis contre mon existence et contre la Constitution». Il l'accuse encore de «travailler le peuple pour le porter à des excès.» L'un de ces excès se traduit par le passage à tabac du maire par quelques hommes alors qu'il se rendait à la foire des Moutiers-les-Mauxfaits. Les jours suivants, des attroupements d'une trentaine de personnes se forment à la recherche du maire parce qu'il a osé dénoncer leur curé. Menacé, le maire confie sa sécurité au district des Sables-d'Olonne qui prend l'affaire en mains. Cet exemple, qui met en avant les tensions entre autorités locales et curés réfractaires soutenus par une partie de la population, n'est pas unique. Devant la multiplication des dénonciations contre les prêtres hors-la-loi, le département décide, le 30 mars 1792, d'engager des poursuites contre eux et leurs complices. Ainsi le Directoire de la Vendée «déclare dénoncer aux juges de paix des cantons des différentes communes où les ci-après dénommés sont domiciliés : le sieur GUITTON, curé de Rosnay ; le sieur BIGOT, curé de Saint-Florent-des-Bois (…)». Quatre habitants du Tablier, dont deux femmes, sont également dénoncés comme complices des deux prêtres. Cette mesure fait suite à l'accusation du juge de paix du canton du Tablier, dans une lettre datée du 26 mars 1792. Il reconnait André MARTINEAU, notaire dans cette commune, comme «le moteur du refus des habitants de comparaître aux assemblées politiques établies par la loi.» Ils sont finalement dénoncés parce qu'ils «fomentent la discorde, répandent l'esprit de division et propagent l'esprit de fanatisme dont ces prêtres sont animés». À Bournezeau, aucun acte de violence n’est constaté et aucune dénonciation ne semble avoir été lancée à l’encontre du vicaire THIRÉ.
  Et les mesures se durcissent encore. Le 8 juin 1792, les prêtres réfractaires non originaires du département doivent le quitter. C’est la première mesure de déportation. La deuxième, le 26 août 1792, est plus radicale : tous les réfractaires doivent quitter la France dans un délai de quinze jours. Avec cette mesure, le gouvernement espère rétablir l`ordre dans le pays. En Vendée, le résultat est loin d'être convaincant. En effet, deux alternatives s'offrent aux prêtres : s’exiler ou se cacher dans le pays.
 

  Le tableau ci-dessous met en lumière les choix divergents faits par le clergé du canton de Bournezeau :
 
  Si nous ajoutons les cantons de la Chaize-le-Vicomte, du Tablier

de la Roche-sur-Yon,

  et de Mareuil-sur-Lay

nous avons 13 prêtres qui acceptent le serment et 25 qui le refusent.
   

  Se pliant à la mesure de déportation, Joseph THIRÉ gagne les Sables-d’Olonne en août ou septembre 1792. Il embarque le 11 septembre sur un navire baptisé la Marie-Gabrielle pour l’Espagne. Il est accompagné de 38 autres ecclésiastiques dont son frère Guillaume, vicaire à Saint-Florent-des-Bois. Au total, 220 prêtres sont déportés en Espagne depuis les Sables-d’Olonne entre juin 1792 et janvier 1793. À l’inverse, seulement 5 prêtres réfractaires de la région décident de rester cachés dans leur paroisse : le curé BLANCHARD et le vicaire JAGUENEAU du Bourg-sous-la-Roche, MOREAU de  Saint-Nicolas-de-la-Chaize,  CHABOT d’Aubigny et enfin  Jacques DESPLOBEIN de Puymaufrais qui s’est caché dans la région, puis a suivi l’armée vendéenne avant de revenir se cacher dans les environs de Puymaufrais.
 Le 21 septembre 1792, l’Assemblée législative abolit la royauté. Louis XVI est condamné à mort puis guillotiné le 21 janvier 1793. Les monarchies d’Europe se coalisent alors contre la France. Devant cette menace, la Convention décrète le 24 février 1793 la levée en masse de 300 000 hommes. En sont exceptés les fonctionnaires de l’État, c’est-à-dire les notables des communes favorables à la déportation des prêtres. Tout est donc réuni pour qu’une révolte éclate dans notre région.

      Vincent PÉROCHEAU

Sources :
Archives départementales de Vendée (ADV) : Registres paroissiaux de Bournezeau et Dictionnaire des personnalités de Vendée
J. ARTARIT, Recherches vendéennes, n°3, 1996.
Philippe RICOT, Les Herbiers sous la Révolution.
La garde nationale, Annales historiques de la Révolution française (site internet www.Persee.fr).
C.L. CHASSIN, Préparation à la guerre de Vendée, 3 tomes (site www.abibnum-vendee.org).
Y. CHAILLÉ, Livre d’or du clergé vendéen, 1964.